🌔Chapitre vingt-quatre

78 12 3
                                    

A l'heure indiquée par la pancarte, Ulysse et Bérénice se tenaient devant la chapelle mentionnée.

-Je sens que ça va être inoubliable cette soirée parmi les consommateurs de yagé...

-De ?

-L'ayahuasca, une plante hallucinogène d'Amérique du Sud. Un psychotrope très puissant qui explique en bonne partie le nombre pharamineux de sacrifices humains et « divinations » chamaniques des cultes précolombiens.

-Oui enfin, nous sommes en 2022. Et y'a pas de mal à consommer ce genre de truc de temps en temps non ? Ironisa Bérénice, songeant aux excès occasionnels de son adolescence ou aux soirées mystiques de son frères ponctuées par un peu de haschisch.

-Très peu pour moi en tout cas.

-Ca pourrait donner quelque chose d'intéressant pourtant ! le taquina-t-elle.

Planté devant l'affiche aux symboliques yeux verts, Ulysse enfila ses lunettes de soleil.

-Ils ne te reconnaitrons pas !

-Tu veux parier ? Dans le doute...

Ulysse poussa la porte battante de la chapelle chrétienne.

-Bienvenue mes amis !

Ils furent accueillis par un homme, qui s'exprimait en anglais, coiffé d'un bonnet traditionnel péruvien et d'une tunique très colorée.

-Bonjour ! répondit Bérénice pleine d'entrain. Nous sommes historiens de l'Université de Moonsbridge et nous étudions les cultes incas ! Nous avons vu votre affiche en rue...et nous voici !

-Merveilleux ! Ça fait bien longtemps que les touristes ne nous rendent plus visite ! Entez entrez, soyez les bienvenus !

Ils s'installèrent au fond de la chapelle et d'autres visiteurs entrèrent à leur tour, affublés de la même tenue. Ils semblaient habitués des lieux. Certains adeptes montèrent sur l'estrade à l'avant et semblaient faire partie de la représentation.

Les lumières se tamisèrent au profit d'immenses chandeliers marqués de la croix andine, la chacana.

Les voix des protagonistes s'élevèrent et se mirent à chanter une litanie incompréhensible mais agréable. Manipulant diverses pièces anciennes à l'effigie des dieux incas traditionnels, la musique se fit plus intense et lorsqu'une statuette annonça le dieu créateur Pachacamac, les acteurs se prosternèrent en silence.

-Et c'est maintenant qu'ils vont sacrifier des poussins, chuchota Ulysse.

Bérénice pouffa de rire discrètement.

-Ou toi !

-Certainement pas, je te rappelle que c'est probablement mon visage sur leurs affiches.

Le maître de cérémonie prit la parole.

-Mes amis, nous sommes réunis à nouveau en cette soirée d'automne, saison annonciatrice des Léonides, dans ce lieu au nom évocateur.

Ulysse sourcilla. Le « Christ de Pachamilla », n'est autre que la christianisation du nom du dieu majeur inca Pachacamac.

L'homme reprit.

-Il y a huit cents ans, des voyageurs ont fait un long voyage dans l'unique but de nous aider ! Ils nous ont apporté leurs savoirs, leurs outils, leur aide, pour l'édification de notre forteresse bien-aimée, Saqsaywaman ! Nos bienfaiteurs des cieux ont compris l'importance de notre culture, le rayonnement universel de nos dieux des astres !

Ulysse se remémora ses notions en Histoire précolombienne et se figura que la religion inca était, en effet, une cosmovision, basée sur les astres. Ce peuple avait une connaissance excellente de l'astronomie, suivaient avec exactitude les cycles lunaires, en témoignent les cartes stellaires retrouvées et autres cadrans solaires d'une précision incomparable.

Bérénice et Ulysse prirent conscience du fait que le principal protagoniste, de ce qui semblait être une conférence animée, effectuait une synthèse des faits, à leur destination sans doute.

-Ils sont ensuite repartis, après nous avoir laissé en guise d'offrande, ce merveilleux site, témoin de la supériorité et de la générosité de leur civilisation !

-Mais il y a vingt-neuf ans, le ciel s'est à nouveau animé de mille scintillements, la voûte céleste s'est fendue pour une nouvelle fois au-dessus de nos montagnes ! Il se chuchote depuis lors, qu'un enfant nous a été confié. Un enfant qui nous a échappé car nos frères et sœurs alors n'ont pas su percevoir son importante capitale !

-Oh non... murmura Ulysse, en recroquevillant tant bien que mal son mètre quatre-vingt-cinq sur le banc étroit de la chapelle. Il faut que je sorte d'ici.

-Sûrement pas ! C'est maintenant que ça devient intéressant !

Le gourou reprit alors que la musique se remit à retentir dans l'édifice.

-Mais les astres ont parlé ! L'enfant perdu des étoiles reviendra. Il accomplira sa destinée et notre civilisation écrasée renaîtra de ses cendres !

Les adeptes poussèrent des cris de joie et les spectateurs, bien que peu nombreux, applaudirent bruyamment.

-C'est du délire... Viens on s'en va, j'en ai assez entendu je crois.

-Attends, je voudrais poser quelques questions à ce monsieur tout de même, dit Bérénice qui s'était déjà levée et avait sorti un calepin à la manière d'une reporter. Elle retrouva le maître de cérémonie qui était descendu de l'estrade et serrait les mains des fidèles réunis autour de lui.

-Ah chère invitée ! La célébration vous a-t-elle plu ?

-Oui ! C'était...interpellant ! Mais dites m'en plus, je suis intriguée ! Quand vous avez parlé de cet...enfant, vous avez éveillé ma curiosité ! De qui s'agit-il ?

Elle fit mine de noter dans son carnet.

-Tous les fidèles ne s'accordent pas à son sujet ! Voyez-vous, si vous vous êtes intéressés à notre région, vous avez eu écho de ce phénomène connu des touristes, la pluie d'étoiles filantes en 1991.

-Hum hum, oui.

-Certaines personnes du village ont affirmé qu'un enfant en bas âge avait été aperçu cette nuit là ainsi que les jours suivants, errant. Un enfant qui ne ressemblait à aucun des nôtres. Ceux qui ont croisé sa route ont raconté que ses yeux verts brillaient comme des pierres rares. Je donnerais cher pour me trouver face à ce garçon...qui doit être un homme à présent !

-Mais ce ne sont que des rumeurs ? Des orphelins ou les enfants seuls n'étaient pas rares dans la région. J'ai lu quelque part que bon nombre d'orphelinats étaient en activité dans la région non ?

-Oui bien sûr mais...

-Personne ne l'a jamais vu ce gamin ! le coupa un homme qui avait assisté à la cérémonie. N'écoutez pas ce vieux fou ! ajouta-t-il en donnant une tape amicale dans le dos du premier. Tu ressasses les mêmes histoires depuis trente-ans !

-Hum...je constate que vous ne vous accordez pas au sein de votre petit groupe...

-Hé bien disons que...cette histoire de gamin...c'est une légende ! Certains en sont persuadés, d'autres en ont entendu parler sans y accorder d'importance. Bah chaque lieu a ses histoires, vous ne croyez pas ? Depuis le temps, il se serait manifesté non ?

-Ne minimise pas l'importance de ce qui s'est passé cette nuit-là !

-Heu...je vous laisse ! Bérénice mi-amusée, mi-perplexe, laissa les deux hommes à leur débat.

Ulysse qui n'avait pas perdu une miette de l'échange, faisait mine d'observer les annonces sur les murs et d'analyser l'architecture des lieux. Il fit signe à Bérénice qu'il sortait et l'invita à l'accompagner.

Elle le trouva assis en tailleur sur le muret qui jouxtait la chapelle, le regard fixé au loin. Bien qu'amusée par la soirée absurde à laquelle ils venaient d'assister, ses talents d'empathe s'éveillèrent et elle éprouva une compassion sombre à la vue de son compagnon. Bien que fantasques de prime abord, ces « révélations » à son sujet étaient lourdes de conséquences.

Elle s'approcha de lui à pas silencieux, approcha sa main de son visage dans un geste tendre et lui caressa la joue. Il soupira et savoura ce contact avec la main fraîche de sa partenaire. Lui si réticent habituellement à l'égard des contacts physiques, devait bien reconnaître que Bérénice agissait comme un relaxant puissant sur sa personne.

Les yeux d'améthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant