🌔Chapitre seize

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-Il faut qu'on aille voir sur place !

-Vous rigolez ou quoi ?

-Pas du tout !

-Franchement, je ne vois pas l'intérêt, nous sommes en 2022, on a accès à toute la documentation du monde en deux clics, je ne vois pas qu'on apprendrait de plus à 9000 kilomètres d'ici qu'on ne puisse trouver ici.

-Les sensations, les rencontres, la magie des lieux !

-Evidemment...

-Et si là-bas quelqu'un se souvenait de vous ?

-De toute façon, je ne peux pas lâcher les cours en plein semestre comme ça... Donc voilà, cette histoire dingue est réglée, dit-il en s'éloignant d'un pas rapide.

-Attendez ! dit-elle en lui rattrapant le bras dans un réflexe.

Cette fois, il ne se défendit pas.

-Je vois bien que vous être complètement déstabilisé par toute cette histoire, et franchement, moi aussi. Mais on est sur une piste énorme non ?

Était-elle en train d'insister auprès de son professeur pour l'emmener à l'autre bout du monde à la poursuite d'une histoire abracadabrante d'incas et d'extraterrestres ? Ça y ressemblait furieusement. Evidement, Bérénice savait que c'était insensé et qu'au fond, ce n'étaient pas ses affaires. Mais une lueur en elle la poussait à continuer. Elle sentait dans ses tripes qu'elle devait le faire. Finalement, depuis sa séparation et son changement de vie, n'est-ce pas ce qu'elle avait voulu, partir loin, changer d'air, voir du pays ? Une opportunité s'offrait à elle, à l'instant. Evidemment, pas comme elle l'avait imaginé. Mais, pas de doute, c'était un signe.

-Vous ne me ferez pas croire que ça ne vous intrigue pas un minimum ! Ça vous passionne en réalité, j'ai vu tous vos bouquins de science-fiction dans votre bibliothèque, juste avant que...enfin bref.

Il la regarda intensément mais n'ajouta rien, préférant se diriger vers la sortie.

Il fit finalement volte-face et lui dit enfin :

-A ce propos, commençât-il en se raclant la gorge. Au sujet de dimanche matin. Je...je suis désolé si je vous ai...brusquée. Ce n'est pas du tout dans mes habitudes, sachez-le et...

Zut elle devait répondre quelque chose, elle était acculée. Brusquée ? En aucun cas. En réalité, elle avait adoré la délicatesse de ses gestes, la douceur avec laquelle il avait posé ses lèvres sur les siennes, la complexité de son regard à ce moment. Ce baiser était presque surnaturel. Il avait résonné en elle bien plus fort qu'elle ne l'aurait cru. Elle n'était pas prête, elle ne pouvait pas se le permettre.

-Je sais. Enfin, je veux dire, c'était inattendu en effet. Mais...

Elle sembla chercher ses mots.

-Oh il est déjà tard en fait ! J'ai un horaire assez chargé aujourd'hui et des travaux pratiques qui commencent dans deux minutes, je dois vous laisser !

Elle s'enveloppa dans son grand châle en laine et disparu en quelques secondes.

-Evidemment, que pensais-tu mon vieux ? pensa-t-il tout haut, avant de se diriger vers la salle des profs sous une fine bruine froide qui se mit à tomber.

Il s'installa à une table à l'écart et ouvrit son laptop. Il commença à lire quelques infos sur cette forteresse inca dont avait parlé son collègue géologue. Il scruta attentivement les photos qu'il trouva à son sujet. En effet, d'après ce qu'il en lisait, les blocs de pierre qualifiés de « cyclopéens » étaient si énormes qu'ils atteignaient parfois 350 tonnes chacun. Par leur nature, on avait pu déterminer que les pierres provenaient d'une zone située à plus de cinquante kilomètres du lieu de la forteresse. Les monolithes qui formaient les immenses murailles étaient assemblés à la manière d'un puzzle parfait, placés au millimètre près, imbriqués avec une exemplaire précision. Et ce, sans les outils modernes que nous connaissons. Les scientifiques étaient unanimes : aujourd'hui encore, il serait absolument impossible d'ériger une telle structure. Il regarda quelques reportages sur le sujet qui avançaient des théories et soulevaient des questions dont avait parlé Charles dans son labo : les incas, il y a presque mille ans, avaient-ils bénéficié d'une aide extraterrestre ? Des visiteurs lointains leur avaient-ils enseigné des technologies, perdues aujourd'hui ?

Ulysse frotta ses yeux fatigués. Déjà trois heures qu'il lisait et regardait des séquences sur le sujet. Il n'avait pas vu le temps passer. Il alla se servir un thé en sachet à la machine automatique de la salle, l'occasion de dégourdir ses jambes, et revint à sa place. Il fit une grimace en trempant ses lèvres dans l'infusion médiocre.

Puis, sans trop y réfléchir et par curiosité, il surfa sur un site d'une compagnie aérienne, fit une simulation de réservation de vol jusque Cuzco, l'aéroport international le plus proche du site de Sacqsaywaman. En cette période hors des congés scolaires, de nombreux vols étaient encore disponibles. Il hésita. Se leva, fit quelques pas, alla chercher l'inspiration en regardant par la fenêtre du local et se rassit. Il cliqua sur le bouton de réservation. C'était fait. Les billets étaient dans sa boîte mail.

Un instant il resta un peu hébété par sa démarche. Que venait-il se faire ? Venait-il réellement de réserver deux allers-simples en direction de Pérou, sur un coup de tête, pour une étudiante et lui ? Il se sentait vraiment barjo à cet instant.

Trente-et-un ans à éviter soigneusement de se demander qui il était et à repousser les questions qu'il se posait. Ambition fracassée par l'apparition de cette fille dans sa vie, en l'espace de quelques jours.

***

[-Bérénice, faites vos valises, j'ai deux billets pour Cuzco. Après-demain, décollage à 6 heures du matin.

-Vous rigolez ?!

-Pas du tout. Il m'arrive de prendre des initiatives.]

A cet instant, yeux rivés sur son smartphone, elle failli s'étouffer avec le sandwich qu'elle mangeait en étudiant. Elle avait insisté à plusieurs reprises, jouant les fonceuses tête baissée, mais à présent, devant le fait accompli, elle fut prise d'une appréhension. Partir dans des contrées lointaines seule avec un gars qu'elle ne connaissait pas il y a encore une semaine. Il fallait au moins qu'elle prévienne ses proches. Elle repensa à toutes ces émissions stupides sur les serials killers qu'elle regardait parfois le soir avec un plateau-tv. Mouais... elle ne put réprimer un petit rire à cette pensée. Ce n'était pas le moment d'en faire des tonnes.

Elle prit son téléphone et appela son frère Henry. Elle lui expliqua les derniers évènements en quelques mots.

-Fonce !

-T'es sérieux Henry ?

-Bien sûr. Qu'est ce que tu as à perdre ? Par contre, donne-moi de tes nouvelles, que je ne me fasse pas de films ! Ce n'est quand même pas rien ton périple.

-Comment je me comporte d'après toi ?

-Sois toi-même, tu es toujours parfaite de tout façon.

***

Le matin du départ, ou plutôt la nuit, il l'attendait en bas de son immeuble, adossé contre sa voiture. Lorsqu'elle sortit et qu'elle le vit, son cœur loupa un battement. Dans l'obscurité et la brume de ce matin de novembre, elle lui trouva un charme magnétique. Il lui adressa un sourire franc, ce qui était plutôt rare de sa part, constata-elle.

-En forme ?

-On ne peut mieux ! répondit-elle, les yeux encore ensommeillés, en dissimulant un bâillement avec la main.

Ulysse n'avait pas fermé l'œil de la nuit. A la fois excité et nerveux à l'idée de ce qu'il pourrait découvrir.

Arrivés dans le hall des départs, ils enregistrèrent leurs bagages, prirent un petit déjeuné rapide avant de patienter dans les fauteuils de la porte d'embarquement.

Une fois installés dans leurs sièges, côte à côte, le commandant de bord annonça le décollage imminent.

-Il faut que je vous avoue, dit-elle, le visage crispé. Ne riez pas mais...c'est la première fois que je prends l'avion...

-Hé bien...pour tout vous dire...

Il marqua un temps de silence.

-Ce sera la deuxième fois pour moi. Mais je n'ai aucun souvenir de la première, j'avais à peine trois ans...

Ils se regardèrent intensément et lorsque les moteurs de l'engin se mirent à vrombir, leurs mains se mêlèrent.

Les yeux d'améthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant