🌗Chapitre vingt-sept

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Ses yeux s'ouvrirent brusquement. Sa mâchoire était si crispée que c'en était douloureux. Il sentit l'air s'épaissir, l'air se frayer péniblement un chemin dans sa trachée. Il suffoqua. Bérénice resserra l'étreinte de ses mains sur les siennes.

-De l'air. J'ai besoin d'air.

Tremblant, il se sépara violemment de Bérénice et manqua de trébucher en se relevant. Sans lui adresser un regard, il prit la porte qu'il claqua derrière lui en sortant de la chambre.

-Oh Ulysse... murmura-t-elle, encore figée par l'expérience.

Elle inspira profondément et se massa les tempes. Trop d'émotions, trop d'intensité. Elle s'allongea à même le sol quelques instants, bras et jambes détachées et détendues, en position de récupération. Le «shavasana», littéralement la position du cadavre au yoga, espérant ainsi apaiser les tensions. Et faire disparaître la migraine qui pointait le bout de son nez sous son crâne.

Elle roula sur le côté, attrapa une aspirine dans son sac et la laissa tomber avec lassitude dans un verre d'eau. Se relevant, elle saisit le verre et par la fenêtre, elle aperçut son compagnon en contrebas. A l'ombre d'un immense cactus, il était adossé au mur d'enceinte de l'hôtel.

Bérénice goba le contenu infâme effervescent et descendit le rejoindre.

Elle le trouva, le teint gris, les yeux fatigués, le visage crispé et lui tendit ses lunettes qu'il avait oublié sur le meuble de la chambre dans sa fuite précipitée.

-Merci...

Mal à l'aise ils ne trouvèrent pas les mots immédiatement.

-Un putain d'accident ? Ma vie entière est due à quelques minutes d'imprudence de gosse ?

-Je dirais plutôt à un excès de curiosité...

-Le vilain défaut, c'est ça ?

Elle expira bruyamment tandis qu'il se mit à faire les cent pas.

-Ca explique pas mal de choses, dit-elle enfin. Ta réticence à voyager, et ce malgré ce prénom que tu portes, et plus le temps passe, plus je me dis qu'il n'est pas anodin d'ailleurs. Tu y avais déjà pensé ?

-Non...

Il s'arrêta de marcher dans le vide et prit un air songeur. En effet, quel prénom était plus approprié à un exilé des confins de l'espace que celui du voyageur le plus célèbre de la mythologie grecque ?

-Puis aussi, ton côté casanier.

-C'est faux. J'ai déménagé un nombre incalculable de fois quand j'étais enfant. J'ai besoin d'ancrage, c'est différent !

-Mouais... murmura-t-elle, peu convaincue par la tirade. C'est juste...lié à tes traumatismes passés. Tu ne m'avais pas dit avoir été asthmatique ?

-Hum...si, quand j'étais enfant, c'était ingérable. Je le suis toujours mais c'est devenu beaucoup plus rare avec le temps... Je ne vois pas le...

-Et si... elle inspira avant de donner son hypothèse. Et si, tu avais simplement eu du mal à t'adapter à notre atmosphère ?

Elle s'installa sur un banc tout proche. Il ne répondit pas mais finit par la rejoindre en se passant nerveusement la main dans les cheveux.

-Il y a un point essentiel Ulysse. Ce qu'on a découvert signifie surtout que personne ne t'a abandonné. Et ça, ça change tout.

Il tourna son visage vers elle et plongea un regard indéchiffrable dans le sien.

-J'aurais dû te rencontrer bien plus tôt Bérénice. Ça m'aurait épargné des heures d'ennui chez des psy et pédopsychiatres avant ça.

Elle lui lança un regard irrité.

-Je suis sérieux. Merci. Vraiment.

Il approcha sa main de la sienne et l'effleura lentement. Il perçu un trouble à son contact.

-Tout va bien ? dit-il en fronçant les sourcils.

-Oui oui. Je suis juste crevée par la séance. Et j'ai la migraine. J'attends que l'aspirine fasse son œuvre.

-Tu veux que je... ? dit-il accompagné d'un geste vague qui désignait la tête de Bérénice.

Elle émit un rire surpris.

-Non ! Non bien sûr... t'en as déjà assez fait aujourd'hui. Laisse tomber, vraiment.

-OK...

Il déposa un baiser dans ses cheveux.

-Ne bouge pas, je reviens.

Et il s'éclipsa, laissant Bérénice perplexe.

Il revint quelques minutes plus tard, tenant deux cocktails de fruits géants décorés de brochettes de bonbons et de fruits frais, deux couvertures coincées sous le bras.

Il étala les couvertures dans l'herbe, l'invita à l'y rejoindre et lui tendit un verre kitch multicolore.

-Ca, je peux faire aussi ! lui dit-il, un sourire fendant son visage.

Elle pouffa de rire et s'étendit à ses côtés. Le soleil les réchauffait délicieusement, le visage d'Ulysse reprit des couleurs. Le vent soulevait doucement les cheveux de Bérénice qui venaient chatouiller son visage, apaisé à présent.

-Il y a sans doute quelqu'un qui t'attend quelque part. Un peuple, une famille peut-être, qui doit être à ta recherche depuis presque trente-ans, Ulysse.

Il soupira, troublé par cette réflexion qu'il s'était faite également évidemment et répondit.

-Pas forcément. En envisageant, de manière plus que probable, que ces portails soient assimilés à des trous de vers, alors le temps passerait de manière très différente ici qu'à l'autre extrémité du vortex. Si ça tombe, et je dis ça tout à faire au hasard, mais, trente ans ici au point B équivaut à trente milles au point A.

Elle sentit une tristesse émaner de lui, teinté de résignation.

-De toute façon, à l'heure actuelle, nous sommes absolument incapables de provoquer ce type de portes de manière artificielle.

Bérénice lui tint la main et se tourna légèrement vers lui. Il avait les yeux fermés et sembler savourer le soleil sur son visage. Il lança, pensif :

-Un jour peut-être.

-Qui sait.

Après un instant, elle reprit.

-Je dois te remercier aussi.

-Pour ?

-Je crois avec trouvé ma voie. Ça me semble clair à présent. Et si, j'étais faite pour guider les âmes égarées ? A ma manière.

-Ca me semble évident. Tu es faite pour ça.

-Je ne pense pas que ça fonctionnera avec toute le monde de manière aussi puissante qu'avec toi mais...

-J'espérais bien garder une exclusivité tout de même ! répondit-il dans un large sourire.

-J'ai envie de tenter le coup.

Il se redressa en s'étirant.

-Fais-moi plaisir en rentrant Bérénice...

-Oui ?

-Change de fac. Inscrits-toi en psychologie...

-Hum. C'est à reconsidérer en effet....

-De toute façon tu étais nulle en Histoire, je tenais à te le dire, plaisanta-t-il dans un rire sonore.

-QUOI ?!

Elle lui lança un morceau d'ananas à la tête en riant.

Les yeux d'améthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant