🌗Chapitre onze

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Bérénice éternua avec violence. Une sourdre douleur lui enserrait la tête. Le sang bourdonnait à ses oreilles et des milliers d'aguilles semblaient lui piquer le fond de la gorge. Elle qui, pourtant d'une santé de fer, dû bien se résoudre à l'évidence ; elle avait attrapé la grippe.

Ce n'était pas un hasard, pensa-t-elle. Surtout en cette veille de la Toussaint, période de fête des morts. Surtout après les jours étranges qu'elle venait de vivre.  Elle devait prendre du recul. C'est ce que sa mère lui conseillerait. Prendre le temps d'évaluer la situation avant de s'y lancer tête baissée. Bien que se montrant pleine de confiance en elle devant le professeur Beaumont, la réalité était tout autre. Bien souvent elle doutait d'elle, particulièrement depuis l'échec sentimental qui l'avait tant marquée.

Ecoutant son instinct, elle se saisi d'un sac de voyage et y fourra en vitesse tout ce dont elle aurait besoin pour quelques jours. Eteignit les lumières de son studio, ferma la porte à clé et s'engouffra dans l'escalier sans se retourner. Si elle se dépêchait, elle pourrait avoir le train de 10h30.

Elle prit place dans un compartiment tranquille. De toute façon, à cette heure-là, personne ou presque ne voyageait. Ereintée par son état et par l'antipyrétique qui se déployait dans son sang, elle resserrât le châle autour de ses épaules, elle posa la tête contre la vitre, regarda défiler les paysages aux teintes rougeâtres et finit par s'assoupir.

Elle fut tirée de sa léthargie par des coups frappés contre la vitre. Elle était arrivée. Sur le quai elle reconnu son frère Henry qui la pressait de sortir du wagon avant qu'il ne redémarre.

Lorsqu'elle en sorti, il l'attira dans ses grands bras chaleureux. Elle lui tomba dans les bras avec bonheur, engloutie par son mètre nonante-cinq et ses épaules démesurément larges. Avec ses longs cheveux tressés, d'une même teinte cuivrée que sa sœur, on l'aurait cru échappé d'un village viking. 

-Viens là petite sœur ! Waw tu es brûlante ! Petits yeux, teint gris, mine déconfite... Je dirais que tu as des problèmes toi.

-Bien vu Gandalf. Pas besoin d'être un grand devin pour voir que j'ai chopé la crève.

Dans un sourire en coin, il l'a pris par la main et l'attira jusqu'à sa voiture, sorte d'épave rouge brique dont les tâches de rouilles étaient dissimulées, tant bien que mal, par de nombreux autocollants de groupes de métal et de symboles païens.

-Comment va maman ?

-Oh tu verras par toi-même. Maman est...fidèle à elle-même !

Lorsque la voiture s'enfonça dans l'allée de la bâtisse en bois, dont la façade était à moitié mangée par un immense lierre grimpant, Bérénice ouvrit la vitre, huma l'air qui entra dans l'habitacle. Enfin chez elle.

Elle ouvrit la porte de la maison familiale tandis que son frère la suivait avec son sac. Elle fut accueillie par Bellatrix, la petite chatte noire qui se faufila dans ses jambes en miaulant doucement.

-Ah Bérénice, c'est toi ! entendit-elle d'une voix provenant du fond de la maison. Elle y trouva sa mère, en train de soigner ses innombrables plantes, les arrosant, agitant un bâton de sauge fumant autour d'elles, leur susurrant des mots au creux des feuilles.

Gillian Maubray regarda sa fille d'un œil distrait, puis reprenant le rituel de soin des plantes dit :

-Toi ma fille, tu as des soucis. Débarquer ici un jour de Samhain, fiévreuse et la goutte au nez, avec des problèmes plein la tête, c'est de mauvais augure. On va arranger ça. Installe-toi donc. Je reviens.

Sur ces paroles, elle coupa des feuilles de ses précieuses plantes, s'excusa délicatement auprès d'elles et s'enfuit dans la cuisine.

Bérénice déjà un peu agacée par son comportement farfelu et froid, la vit revenir un plateau entre les mains.

-Bois ça. Et jusqu'à la dernière goute ! Ne fais pas l'enfant ! C'est de la jusquiame pour calmer ta migraine. De la passiflore pour tes nerfs et...de l'eucalyptus pour tes sinus. Et un peu d'immortelle pour ouvrir ton esprit. Qui a l'air d'en avoir bien besoin.

-Mais...

Bérénice qui n'avait pas encore prononcé une seule parole, se sentit rabrouée sans motif.

Une fois l'infâme infusion terminée, Gillian invita ses deux enfants à table. Elle scruta Bérénice, lui prit les mains puis lui caressa la joue.

-Qu'est ce qui te préoccupe à ce point ma fille ? Ou qui ?

Bérénice expliqua brièvement sa rencontre avec son enseignant, les circonstances étranges qui les avaient réunis, ses intuitions et ses visions. Ses hypothèses.

-Tu as raison. Je pense qu'il faut suivre les indices que te donnent ces évènements.

-Tout converge vers lui.

-Mais tu es malade. Un jour de Samhain. Ce n'est pas rien. C'est plutôt contradictoire avec ce que te dictent tes intuitions.

-Henry, donne-lui un coup de main, rétorqua Gillian.

Sur ces paroles, le frère de Bérénice sortit un ancien tarot de sa poche, aux cartes jaunies et cornées. Il étala les cartes devant sa sœur, qui ferma les yeux et tenta de se concentrer malgré la douleur qui tournoyait dans son crâne.

Elle posa son doigt sur trois cartes qu'Henry retourna une à une, lentement.

Le Pendu. L'Hermite. La Carte Sans Nom.

-Ca me semble plutôt clair, déclara Gillian.

-En effet, rétorqua Henry.

-Tu dois lâcher prise. Ecoute et transmets tes intuitions. Va au-delà des apparences. J'imagine que L'Hermine te fait penser à quelqu'un. La question que la carte pose est de savoir qui guide l'autre. Quant à la troisième carte...

-La Mort, dit froidement Gillian.

-La mort aux habitudes, nuança Henry. Balaie les clichés, écrase tes préjugés. Tu auras besoin d'un œil nouveau dans cette situation.

-C'est un tirage riche de sens et d'émotions. Pas étonnant que tu sois tombée malade. Tu dois apprendre à gérer tout ça ma chérie, dit sa mère en se levant et en nouant ses longs cheveux gris avec un crayon qui trainait sur la table.

Bérénice se laissa tomber contre le dossier du siège, regarda cette pièce encombrée de livres, de plantes, de tapis persans et de bibelots étranges. Et de poussière. Cette pièce dans laquelle elle avait tant de souvenirs. Elle regarda intensément son frère, les trois cartes toujours posées entre eux. Elle lui tendit la main et ferma doucement les yeux, tandis qu'il l'a saisi dans la sienne.

-Allons nous préparer. Il est bientôt l'heure. Les autres vont bientôt arriver.

-Tu as bien fait de venir ma chérie, dit Gillian, tandis qu'elle enfonça son pouce dans la cendre de myrrhe consumée dans un bol. D'un geste adroit, elle en traça un pentagramme sur le front de sa fille.

-Main dans la main, mère et fille rejoignirent Henry dans le vaste jardin à l'arrière de la maison. Bérénice se saisit d'une photo de leur défunt père et l'emporta au jardin.

La nuit était tombée, la lune croissante éclairait de sa mystérieuse lumière un autel dressé sur lequel la photo alla rejoindre des dizaines d'autres.

La sonnette de l'entrée retentit à plusieurs reprises. Ils arrivaient. Samhain pouvait commencer.

Les yeux d'améthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant