Bérénice referma la porte de son studio avec soulagement. Enfin chez elle. Enfin un peu de tranquillité.Elle laissa tomber négligemment sa besace dans un coin de la pièce, ôta ses bottines, libéra ses orteils. Elle adorait être pieds nus. Le contact avec le sol la ressourçait toujours un peu.
Quelle journée épuisante ! Elle se sentait vidée, un trop plein d'émotions. Des centaines de nouveaux visages, des nouveaux lieux à repérer, une organisation à adopter, des notes à prendre, et pour couronner le tout, cet enseignant. Le professeur Beaumont. Leur rencontre avait été si perturbante. Durant ce cours d'histoire médiévale, il l'avait fixée de ses yeux étranges. C'est à cet instant, qu'elle avait compris. Il y avait un truc au sujet de ce gars-là. Quelque chose de spécial, quelque chose à savoir ; lui aussi devait être quelqu'un d'un peu à part.
A 27 ans, Bérénice était en reprises d'études. Autrement dit, elle avait déjà vécu pas mal de choses et souhaitait se ré-orienter. Changer de vie en fait.
Neuf années durant, elle avait vécu en couple avec Oliver rencontré à l'école. Une fois majeurs, ils s'étaient installés, avaient vécu de petits boulots, vivants au jour le jour, plutôt heureux. Avant de se rendre compte que leur relation était vouée à l'échec. Trop jeunes, trop possessifs, trop immatures, ils s'étaient englués dans un amour toxique dans lequel elle avait malgré tout persévéré, car il lui permettait d'oublier qui elle était, d'où elle venait.
Elle était issue d'une famille extravagante et pour le moins originale, chez qui l'ésotérisme et la sorcellerie tenait une place prépondérante. Séances de spiritisme, voyance, plantes médicinales et envoûtements étaient son lot quotidien à la maison jusqu'à l'écœurement. Ayant longtemps pris toutes ces activités farfelues pour des foutaises, elle avait voulu s'en éloigner le plus vite et le plus loin possible.
Néanmoins, elle dû constater, bien malgré elle, que tout ce passif familial avait laissé des traces, des automatismes. Ainsi, elle était en réalité, particulièrement intuitive, faisait même fréquemment des rêves prémonitoires. Rien d'incroyable pensait-elle, quelques impressions de déjà-vu, quelques coïncidences tout au plus. « Des dons » avait assuré sa mère naturellement. De dons ancestraux, se transmettant de générations en générations !
Peu à peu, après sa rupture violente avec Oliver, elle était retournée vivre chez ses parents et avait renoué avec les habitudes païennes de la famille. Doucement ainsi, elle autorisait cette part un peu magique de sa vie à faire surface. Accueillant dorénavant avec sérénité ses présentiments, décodant ses rêves, manipulant sauge et oracles ou participant à divers rites païens.
C'est ainsi que ce matin-là, dans l'auditoire, elle avait su que quelque chose d'anormal, de curieux, entourait son professeur d'histoire. Elle était encore absolument incapable d'en qualifier la nature, mais ce gars-là émettait une sorte de rayonnement à la fois sublime et effrayant. Mais ses yeux ! Ces yeux verts pourtant bien dissimulés derrières ses lunettes de nerd, l'attiraient inexorablement. Lorsqu'il les avait posés sur elle, dans l'auditoire d'abord, au salon de thé ensuite, c'est comme si une multitude de crépitements verdoyants se déposaient sur elle. Assez peu d'êtres étaient capables d'un tel « rayonnement ». Certaines personnes particulièrement brillantes étaient bien qualifiées de « solaires », et à juste titre, car Bérénice pouvait apercevoir leur chatoiement. Mais ce professeur Beaumont, c'était bien différent.
Pourquoi ? Qui était ce type ? Peut-être devrait-elle en parler à sa mère, elle saurait la conseiller, lui donner un avis plus expert. Quoique cette dernière risquait de lui tenir un discours trop abracadabrant et de s'en mêler, ce qui dissuada Bérénice.
Elle saisit une allumette, fit jaillir une flamme et alluma un bâton d'encens, qu'elle plaça à côté de son manuel d'histoire médiévale. Elle disposa de part et d'autre cristaux et bougies, espérant ainsi, peut-être, amplifier les émotions qui se dégageraient éventuellement de cette situation. Elle s'installa confortablement en tailleur, à même le sol, ferma les yeux, se concentra sur le visage du professeur. Dans un premier temps, rien ne vint à son esprit. Elle inspira profondément, expira doucement et profondément, ouvrit son « troisième œil » comme sa mère et son frère le lui avaient appris et laissa venir les images.
Lumière, montagnes, blocs de pierre, étoiles, tristesse, falaises, solitude, désert, sécheresse, ciel. Sans queue ni tête, un mélange d'images insolites, sans liens, affluèrent, mêlées à des sentiments profonds et négatifs. Elle ouvrit les yeux dans un sursaut, en proie à des sentiments intenses que son instinct jugea sans doute trop dangereux pour la maintenir en état méditant. Elle ne comprit pas grand-chose à ce qu'elle venait de ressentir mais elle devait bien avouer que tout ça était assez intriguant. Suffisamment intriguant pour lui donner envie d'en savoir plus sur Ulysse Beaumont.
Epuisée par son expérience méditative, elle s'affala dans son canapé, se massa les tempes et se promit de creuser la question dès que l'occasion se présentera à nouveau.
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Les yeux d'améthyste
Science Fiction🥉#3 eme en catégorie science-fiction du concours Wattpad & vous ! 🏆 ✨Le docteur Ulysse Beaumont, jeune professeur d'histoire à l'Université de Moonsbridge, est tourmenté depuis son enfance par des phénomènes étranges qu'il tente d'enfouir au fond...