Le vol durerait une douzaine d'heures. Durant la première partie du trajet, Ulysse bouquina beaucoup, écouta de vieux morceaux rock, les yeux perdus au travers du hublot. Bérénice regarda quelques films, griffonna des notes dans un guide touristique du Pérou. Ils se parlèrent peu, Bérénice lui adressant quelques sourires encourageants. En réalité, Ulysse était éreinté par le voyage et la nuit blanche qu'il venait de vivre. Il luttait pour ne pas s'endormir. S'endormir en public, une idée qu'il préférait éviter depuis ses seize ans. Surtout dans son état de fatigue, il basculerait vite dans un sommeil profond, le plus risqué. Il assimilait ses lévitations nocturnes et à une sorte de somnambulisme. Plus il était stressé et fatigué, plus grandes étaient les chances qu'elles se produisent. Les visions et rêves prémonitoires avaient achevé de faire de lui un insomniaque notoire. Boucler sa ceinture aurait sans doute réglé le problème, néanmoins, il ne préférait pas tenter le coup.
-Vous devriez profiter des heures qu'il reste pour vous reposer un peu. Sans vouloir vous vexer, votre mine est assez...affreuse.
Il lui adressa un léger sourire.
- Ça ira, merci, je vais bien.
- Ça se voit ! Depuis deux bonnes heures, vous n'avez pas dit un mot et vous faites des micro-siestes... Attendez, montrez-moi vos poignets.
Elle sorti de son sac à dos, un flacon en versa quelques gouttes sur les avant-bras d'Ulysse, qu'elle massa délicatement, sous son regard méfiant.
-Mais...qu'est-ce que... ? Il renifla la substance. De la lavande ?
-Huiles essentielles de lavande aspic, mélisse et camomille romaine. Ça vous fera du bien, faites-moi confiance.
-Ce n'est pas un somnifère au moins votre truc là ?
-Vous craignez de baver sur le siège ou quoi ?
Il rit et se redressa, s'étira un peu en faisant craquer ses vertèbres tassées par des heures de voyages.
Quelques instants plus, tard, il constata que le mélange d'huiles avait surtout fonctionné sur Bérénice, qui s'était assoupie profondément. Il attrapa une couverture et l'en couvrit délicatement. Il en profita pour observer son visage apaisé, son air confiant, même endormie.
Il se releva, l'enjamba avec difficulté et gagna le fond de l'appareil à la recherche de n'importe quoi, capable de le garder éveiller. Il revient à sa place avec un expresso bien serré. Pas son truc, mais ça ferait l'affaire.
Il profita du sommeil de Bérénice pour attraper le guide de voyage qu'elle noircissait de notes depuis le départ et constata qu'elle avait planifié un véritable plan de route. Coordonnées de motels, itinéraires, agence de location de véhicules,... Elle semblait avoir tout prévu.
Il fut tiré de sa rêverie par le poids de la tête de Bérénice sur son épaule. D'abord un peu embarrassé par cette proximité, il n'osa, ensuite, plus bouger, son odeur ambrée lui chatouillant les narines. Il profita de la fin du voyage dans cette position inconfortable mais finalement plutôt agréable.
***
Lorsque l'avion atterrit sur la piste de l'aéroport de Cuzco, il faisait presque nuit. Bérénice s'éveilla, fraîche et tout sourire, excitée à l'idée de sortir de l'appareil. Pour Ulysse, le manque de sommeil et l'excès de café commençaient à sérieusement se faire sentir et c'est plutôt gris, qu'il sortit de l'avion. Il inspira à plein poumons un air qu'il respirait pour la première fois depuis tant d'années.
Il demeura interdit quelques instants. Fermant les yeux, il laissa tomber son sac lourdement sur le sol et laissa les flot des passagers le dépasser.
Bérénice lui saisit calmement le bras.
-Hey, tout va bien ?
Il ouvrit les yeux et soupira.
-Oui...
-J'avais repéré un motel pas loin, je ne sais pas si vous avez vu dans le bouquin. Le temps de réserver une voiture de location et...
-Parfait. Merci. Allons-y, dit-il, troublé par l'ambiance qui l'entourait.
Il remplit les formalités auprès de l'agence et découvrirent un mini 4x4 qui les attendaient à la sortie de l'aéroport.
- Ça vous ennuierait de conduire jusqu'à notre hébergement ? Je suis...vraiment exténué et...
-Pas de problème ! Avec joie même ! dit-elle en attrapant au vol les clés qu'il venait de lui lancer.
Appuyant son front contre la vitre, il devina malgré l'obscurité, la chaîne de montagnes majestueuses se dessiner à l'horizon.
-Vous parlez espagnol Ulysse ?
-Pas vraiment...enfin j'ai des notions scolaires, mais j'imagine que l'anglais devrait suffire. Et vous ?
-Non plus...
Ils arrivèrent devant l'auberge qui s'avéra moins charmante que présentée sur la photo du guide. Entourée de gigantesques agaves, la façade défraichie donna un avant-goût du hall d'entrée, franchement pas mieux. De vieux tapis garnissaient le sol et malgré la fraîcheur de la nuit, il y faisait très chaud. De grands cactus assoiffés agonisaient aux quatre coins de la salle. Ils avancèrent vers le comptoir et saluèrent l'homme qui s'y tenait. Qui ne parlait pas un mot d'anglais naturellement.
-Allez-y, à vous l'honneur, après tout, c'est vous qui êtes péruvien, pas moi !
-Mais ! Il leva les bras au ciel en signe d'exaspération. Je ne suis pas péruvien !
-Ça reste à prouver !
Ulysse tenta d'expliquer, dans un espagnol très moyen, qu'il souhaitait deux chambres pour une nuit, peut-être davantage mais il n'en savait encore rien. Il tenta ensuite de savoir si les chambres étaient munies de tentures occultantes. Ce que l'homme ne semblait pas décoder. Il insista sur le sujet, pour qu'au moins une des deux en soit pourvues, ce qui amusa Bérénice.
-Non mais, laissez-tomber, vous voyez bien que cet hôtel, n'est pas du genre « draperies en satin et service en chambre » ! Vous êtes toujours si snob ou c'est juste concernant le sommeil ?
- Ca n'a rien à voir, croyez-moi ! répondit-il en se saisissant des clés et se dirigeant vers lesdites chambres.
Les deux logements étaient côte à côtes. D'un aménagement très sommaire et d'une hygiène plutôt douteuse, mais dont une des deux disposait de rideaux.
-J'ai saisi, je vous laisse celle-ci ! dit Bérénice en lui adressant un geste exagérément poli et un peu moqueur.
Ils prirent possession des lieux, laissant d'abord leurs portes ouvertes, le temps de s'installer.
L'émotion, le jetlag, le manque de sommeil, eurent raison d'Ulysse. Il déclara forfait et l'informa qu'il alla se coucher.
Appuyé au chambranle de la porte, il la regarda vider ses effets personnels.
-Merci.
-Oh de rien, je dors n'importe où vous savez, alors rideaux ou pas...
-Non non. Merci pour...ce que vous faites. Pour tout ça.
-Oh. Hé ben...hum. Ce n'est pas grand-chose au fond...Quoi de plus normal que d'accompagner son prof d'histoire un peu paumé au fin fond de l'Amérique du Sud sur les traces des vestiges extraterrestres ?
Il la regarda avec un air un peu amusé.
-Bonne nuit Bérénice.
-Reposez-vous bien, répondit-elle avec un sourire sincère.
A peine eut-il refermé la porte de sa chambre exiguë, qu'il se laissa tomber sur le lit, encore tout habillé, sans même prendre la peine de se glisser sous la couverture miteuse. Tant pis. Il n'avait pas le courage de vider son bagage. Cette journée avait été interminable.
Il tendit le bras pour déposer ses lunettes sur la table de nuit et ferma enfin les yeux pour de bon.
Le sommeil tant espéré arriva presque instantanément. Mais des coups discrets frappés à la porte le firent sursauter. Il releva la tête et s'appuya sur ses coudes.
Bérénice se tenait debout devant lui, dans la pénombre.
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Les yeux d'améthyste
Ciencia Ficción🥉#3 eme en catégorie science-fiction du concours Wattpad & vous ! 🏆 ✨Le docteur Ulysse Beaumont, jeune professeur d'histoire à l'Université de Moonsbridge, est tourmenté depuis son enfance par des phénomènes étranges qu'il tente d'enfouir au fond...