🌑Chapitre vingt-neuf

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Il ne sut avec certitude combien de temps il resta inconscient, mais cette sensation cotonneuse lui parut douce, enveloppante. Dans son esprit embrumé, tout se joua au ralentit. Il se sentit flotter dans l'océan tiède des images de sa vie. Désordonnées, elles semblaient le porter, le bercer. Une voix chaude, lointaine le tira de son état de stupeur. Bérénice. Son prénom résonnait au loin sans qu'il fût encore capable d'en distinguer la provenance.

***

Quand il perdit connaissance, elle n'eut pas temps de retenir sa tête qui vint heurter le sol. Elle se précipita et fondit sur lui, le supplia de se reprendre conscience. Dans la panique, d'une main tremblante tâchée de sang séché, elle se saisit de son téléphone pour appeler de l'aide. Avant de se raviser. Il serait forcément embarqué à l'hôpital, elle serait contrainte d'expliquer le contexte, mentir serait inutile car des test médicaux et imageries seraient inévitablement réalisés. Elle savait l'appréhension, la phobie même d'Ulysse vis-à-vis de la médecine à son sujet. En une fraction de seconde, l'hésitation l'envahit. Que faire ? Une idée germa dans son esprit. Appeler l'ex d'Ulysse, médecin de surcroit qu'il avait évoqué brièvement. Il semblait être la seule personne à le connaître vraiment. A des milliers de kilomètres certes, mais avant de faire une bêtise irréparable, il lui fallait son avis. Elle fouilla frénétiquement les poches du pantalon d'Ulysse, toujours allongé au sol et trouva son téléphone. Elle parvint à le déverrouiller et à trouver le numéro d'Adam dans le répertoire. Pitié, faites qu'il décroche rapidement, pensa-t-elle.

Au bout de trois sonneries, il répondit enfin.

-Deux appels en dix jours ! Je vais finir par croire aux miracles U !

-C'est...c'est Bérénice...une amie d'Ulysse.

Elle se força à ravaler ses larmes et essaya de parler distinctement.

-Il est arrivé quelque chose. Je ne sais pas quoi faire. Il est inconscient. Son pouls est faible, je savais que c'était trop pour lui, mais il n'a rien voulu entendre, c'est ma faute et maintenant...

-Attendez, stop, quoi ? Qu'est ce qui était trop ?

-Je suis tombée, une sale fracture, ça saignait beaucoup et...il...il a voulu réparer ça, vous savez... J'ai essayé de l'en dissuader.

-Ok, j'arrive, donnez-moi l'adresse.

-Non, impossible, nous sommes...au Pérou...

-Où ça ?!

Malgré la surprise, il fit rapidement le lien entre les évènements.

-J'appelle des secours ?

Après un bref silence, il soupira et répondit.

-Non. Pas tout de suite.

-Je...j'ai failli le faire et puis je me suis ravisée, il m'a raconté que c'était déjà arrivé avec vous et...

Elle éclata en sanglots.

-Ok, ça va aller. Oui, c'est déjà arrivé, ça l'affaibli énormément, ça bouffe toute son énergie, mais ça va aller. Prenez son pouls régulièrement, essayez de le faire revenir à lui. Si son état faiblit encore ou si dans vingt minutes max il n'y aucun signe d'amélioration, appelez-les.

-D'accord...

-Tenez-moi au courant, je reste dispo.

Elle raccrocha, et toujours secouée de légers tremblements dûs au choc, elle s'assit au sol, le tira sur ses jambes. Elle se mit à lui parler doucement, le suppliant de se réveiller, tout en lui caressant délicatement les cheveux. Ils restèrent ainsi d'interminables minutes.

***

La voix qui susurrait son prénom se fit plus forte. Cette mélodie de paroles indistinctes se mua en coups frappés contre les parois de son crâne. Les coups vrillaient maintenant entre ses tempes avec puissance et douleur. La sensation molle et chaude qui l'emportait lui retourna à présent l'estomac. Il sentit le rythme de son cœur s'accélérer lentement dans sa poitrine, un frisson lui parcourir le corps. La voix de Bérénice lui sembla toute proche à présent, elle pénétrait par ses oreilles et mit en éveil toutes les cellules de son corps sur son passage. Dans un sursaut violent il ouvrit les yeux, la lumière de la lune et des lampes de poches agressèrent sa rétine comme des lames. Dans un reflexe il couvrit ses yeux et roula sur le côté en position fœtale, puis se prit la tête entre ses bras pour apaiser la douleur qui lui fracassait le crâne.

***

-Ulysse ! Ulysse ! Oh mon dieu merci !

Bérénice se précipita sur lui, l'entoura de ses bras. Les contours flous se firent plus nets et il la distingua dans la pénombre.

-Bérénice.

Il murmura son prénom, la bouche sèche, les lèvres craquelées.

-Bois ça !

Elle lui tendit une bouteille d'eau, il semblait déshydraté.

Il garda les yeux fermés quelques instants, avant de trouver la force de redresser légèrement pour s'appuyer contre un monolithe.

-Ulysse, tu m'as fait tellement peur...

Il adressa un regard furtif mais satisfait vers le mollet de sa partenaire.

-Je t'avais dit que ça fonctionnerait, chuchota-t-il, les yeux à nouveau fermés avec un sourire en coin, la bouteille dans les mains.

Elle bondit sur lui et l'embrassa de joie.

-J'ai cru te perdre...

Il plaça une main faible dans son dos et l'attira à lui. Ils restèrent un long moment enlacés, en silence. Ulysse somnolait, reprit des forces peu à peu.

-Je dois prévenir Adam. Il doit crever d'inquiétude, déclara-t-elle en se saisissant de son smartphone.

-Attends, quoi ?! Pourquoi ?

Il fut tiré de sa léthargie.

-Je ne savais pas quoi faire, qui appeler, je me voyais mal expliquer aux secouristes et aux médecins de l'hôpital du coin, que tu étais tombé dans le coma en soignant ma cheville déchirée à la force de ton esprit et qu'ils ne devaient pas injecter quoique ce soit dans le corps de mon petit ami alien car personne ne sait les effets que ça aurait sur toi et...

-D'accord, d'accord. Tu as bien fait.

-Et maintenant que je m'entends le dire à voix haute, je me dis qu'en plus, ils m'auraient sans doute gardée en psychiatrie.

-Avant de découvrir que tout est vrai...

Il reprit après un moment.

-Bérénice. Merci.

Il lui adressa un sourire reconnaissant.

-Et... « petit ami alien », je ne m'y ferai jamais, je suis désolé.

-La première ou la seconde partie ?

Il inspira profondément et la regarda avec tendresse.

-La seconde surtout.

Les yeux d'améthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant