🌑Chapitre treize

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-Allô ?

-Salut Adam. C'est Ulysse...

-Ulysse...Ulysse... attendez... non désolée je ne vois pas.

Un silence se fit au bout du fil.

-Adam...c'est bon...

-Tu as toujours mon numéro ? Je suis étonné ! Trois ans sans la moindre nouvelle et soudainement ton nom qui s'affiche sur mon écran. Je dois dire que j'ai hésité avant de décrocher. Mais la curiosité l'a emportée ! Tu me connais.

-Oui en effet. Je sais...

-J'imagine que ce n'est pas juste pour prendre de mes nouvelles ou papoter de la pluie et du beau temps.

-Tu as bien deviné. Tu me connais aussi.

-Que t'arrive-t-il ?

Assis en tailleur sur le tapis de son salon, Ulysse se rongeait un ongle nerveusement.

-Je suis dans la merde. Ca a recommencé.

Il entendit son ami émettre une expiration.

-Tu es tombé à court de cachets ? dit-il sur un ton un peu moqueur.

-Arrête, tu sais que c'est loin d'être drôle.

-Bien sûr que je le sais... Bon et...il se passe quelque chose dans ta vie en ce moment ? J'ai vu passer ton nom dans la gazette des anciens, au fait. Félicitations, t'as décroché une bonne place au département d'Histoire, exactement ce que tu voulais !

-Moui. C'est vrai, je suis plutôt chanceux de ce côté-là je te l'accorde. Le job est sympa, j'avoue. Et toi, toujours à Saint Andrew ?

Son ami, à peine son diplôme de médecine en poche avait décroché un poste aux urgences d'un prestigieux hôpital à l'autre bout du pays.

-Yep. On parle de m'en donner la coordination. A voir. Et donc, raconte. Je reprends à midi.

Ulysse devina au léger crépitement qu'il entendit qu'Adam s'était allumé une cigarette.

-C'est à cause de cette fille. Une étudiante de première année.

-Une fille ?

Ulysse fit un bref résumé des derniers évènements à son ami.

-Je ne sais pas ce qui me surprend le plus dans cette histoire, dit Adam. Que tes facultés refassent surface avec autant d'intensité ou que tu te ronges les sangs pour une fille qui ne donne simplement pas de nouvelles pendant trois jours.

Après un bref silence et dans un soupir, il reprit.

-T'en as jamais rien eu à faire quand je m'absentais une semaine pour le boulot. T'oubliais de m'appeler, U... Tu voyais même pas les jours passer.

-Tu sais comment je suis.

Il se releva et s'installa sur l'appui de la fenêtre de son apparemment. Son regard se perdit à l'horizon. Se confier à son ex-compagnon n'était peut-être pas une si bonne idée finalement.

Adam et lui s'étaient rencontré au cours de leurs études. L'un en médecine, l'autre en Histoire. Ils avaient pris l'habitude d'étudier dans un café tranquille en ville, loin des bibliothèques bondées et couloirs bruyants de l'université, et avaient fini par sympathiser. Ulysse, bien que peu loquace s'était peu à peu senti en confiance avec ce bel étudiant à la tignasse blonde bouclée un peu trop fêtard, un peu trop bavard. Rapidement ils ne se quittèrent plus et lorsqu'Adam embrassa fougueusement Ulysse après une soirée bien arrosée, ce fut une évidence.

Marqué par une enfance compliquée et solitaire, Ulysse avait toujours été distant et maladroit en matière d'histoires amoureuses, incapable de nouer une relation. Pourtant lorsqu'Adam lui avait proposé de s'installer à deux, Ulysse n'hésita pas longtemps, même au prix de la révélation de ses capacités paranormales à Adam, en qui il avait une totale confiance.

-Oui justement je sais comment tu es. C'est pour ça que je t'aimais.

-Adam s'il te plaît... Ne recommence pas... Il y a prescription non ?

Si les premiers moments de cohabitation avaient été joyeux, ils déchantèrent peu à peu. Trop accro à sa liberté et à son intimité, Ulysse se révéla être un compagnon assez invivable. Qualifié régulièrement de « fantôme » par Adam, il disparaissait souvent sans prévenir, ou se noyait dans le travail, imperturbable, durant des jours et rarement intéressé par des activités sociales. Pourtant ces brèves années de vie commune furent les meilleures de la vie d'Ulysse. En compagnie d'Adam, ses angoisses s'éloignaient, ses visions perturbantes se faisaient rares, il était parvenu à mettre pratiquement tout cela derrière lui.

Le coup de grâce à leur relation fut sans doute venu le jour où Adam qui, naturellement, cherchait régulièrement à en connaître davantage sur les capacités de son compagnon, voulu mettre à profit ses fraîches connaissances médicales pour « aider » Ulysse. Il lui proposa une analyse sanguine et un scanner.

-C'est vraiment pas grand-chose, ce sera vite fait et ça nous apportera pas mal de réponses à mon avis ! Imagine ce qu'on pourrait découvrir ! Y'a forcément une explication scientifique à tout ce que tu es capable de faire ! Non mais imagine ce qu'on pourrait faire de nos découvertes ! U, putain, tu voles en dormant, t'as des aptitudes prémonitoires et sûrement d'autres choses dont tu ne m'as jamais parlé et t'as jamais voulu savoir pourquoi ? Si ça se trouve, le fonctionnement de ton cerveau, c'est la clé pour révolutionner les traitements de tas de maladies neurologiques.

Ulysse médusé à l'écoute du discours que tenait son partenaire, resta d'abord bouche bée. Avant de s'emparer d'un sac, et de s'empresser d'y fourrer vêtements et effets personnels.

-Merde U, attends, tu vas où là ?

Ulysse lui adressa un regard sombre, mélange de haine et de tristesse.

-T'as pensé à moi là ? Tu m'as regardé ? C'est pour ça que tu t'es intéressé à moi au fond ?

-Arrête, tu sais que non !

-Regarde moi une dernière fois. Je ne suis pas un cobaye et je ne le serai jamais. Qui je suis ou ce que je suis, ça n'a jamais regardé que moi. Et essayer de me faire culpabiliser avec tes malades neurologiques, c'est juste dégeulasse. Pousse-toi. Merci.

Sur ces paroles, il avait claqué la porte de leur petit appartement et avait disparu de la vie d'Adam un long moment.

Ils se recroisèrent occasionnellement à des réunions d'anciens élèves ou tentèrent de se revoir quelques fois mais quelque chose d'irréparable s'était brisé en Ulysse.

***

-Et donc tu voudrais mon avis sur cette Bérénice ou sur le reste ?

-Sur tout ce que tu voudras... Tu sais bien qu'en dépit de nos...différents...tu es la seule personne sur qui j'ai pu compter.

Adam soupira bruyamment avant de répondre.

-Je pense que tu devrais te laisser aller à tes émotions, U, pour une fois. Ca te ferait pas de mal. Ecouter un peu plus ce que ton cœur te dit de faire...enfin je n'en sais rien au fond. Je n'ai jamais rencontré cette fille mais si tu réagis comme ça, crois-moi, c'est juste parce que tu flippes à l'idée que quelqu'un s'intéresse à toi et essaie de briser le rempart que tu mets entre toi et...le reste du monde.

-Hum. Y'a peut-être de ça oui.

-Rassure-moi. Elle ne veut pas faire de toi son cobaye ?

Piqué dans son orgueil, il ne prit pas la peine de répondre à la réplique amère de son ancien partenaire.

-J'en sais rien. Bon écoute, je vais te laisser, l'heure tourne. Allez, salut.

-Attends. Maintenant que tu as retrouvé mon numéro, ne laisse plus trois années passer avant le prochain coup de fil ?

-OK. Oui bien sûr. Mais je ne promets rien.

-Sans blague, tiens-moi au courant. Et prends soin de toi, U.

-Au revoir Adam.

Les yeux d'améthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant