🌔Chapitre huit

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Ulysse prit le godet et lui fit face.

-Merci. Pour le thé. C'est en effet un de mes favoris.

Prenant place sur le banc, elle commença.

-Alors ?

-Alors quoi ?

-Hé bien tout ça, là, sous nos yeux depuis une semaine. Votre petit malaise en classe, notre contact...surprenant au salon de thé, votre présence dans ma tête pendant ma séance de divination, et votre...

-Votre séance de quoi ?!

Ulysse manqua de s'étrangler avec sa boisson brûlante.

-De divination. Je suis issue d'une famille de sorcières. Enfin, c'est en tout cas ce dont mes parents sont tout à fait persuadés. Quoiqu'il en soit, croyez-le ou pas, ça m'est égal. Néanmoins, j'ai appris à toujours chercher les raisons aux signaux que je perçois et a priori, la raison, c'est vous. Et à voir votre malaise du premier cours, je...

-Ce n'était pas un malaise. Enfin. Si. Mais pas au sens classique du terme.

-Allez-y, racontez-moi.

-Bon allez, ça suffit. Je crois avoir vu suffisamment de psychanalystes dans ma vie pour me confronter encore à un « allez-y, racontez-moi. », marmonna-t-il.

Il n'allait tout de même pas déballer sa vie à la première venue sous prétexte qu'elle était chaleureuse et lui offrait un darjeeling. C'était complétement aberrant. En trente-et-un ans, il n'avait confié ses particularités et émotions qu'à un nombre extrêmement restreint de personnes, et ce dans une relation de confiance solide et bien ancrée. Sûrement pas sur un coup de tête. Et sûrement pas à une de ses étudiante...

Il descendit du banc en un bond, jeta le gobelet dans une poubelle et fit mine de s'éloigner.

-Hé attendez !

Bérénice lui retint le bras, plus fermement qu'elle ne l'aurait voulu.

De nouveau, le courant grésillant étrange se fit entre eux.

Ulysse se dégagea avec brusquerie et lui jeta un regard noir. Il supportait peu d'être touché, et encore moins par surprise comme elle venait de le faire.

-Je...je suis désolée, je ne voulais pas... D'accord, je vais faire attention à ne plus vous toucher. Je n'ai aucune explication à ce phénomène, mais je vous l'accorde, c'est très...inhabituel. Même pour moi.

Elle replaça une mèche de sa longue chevelure derrière son oreille et lui jeta un regard sincère.

Il lui fit face, les bras ballants, ne sachant pas quoi en faire. Son instinct lui donna l'envie soudaine de remettre en place lui-même cette mèche de cheveux cuivrée, mais il mit cette idée de côté. Vraiment n'importe quoi.

Ulysse remarqua avec perplexité que des écureuils s'étaient joint à eux. Ces petits rongeurs gris étaient plutôt courants dans ce parc, à la recherche de snacks tombés des mains des promeneurs, mais ce qui l'étonna, c'était plutôt leur nombre. Il n'avait jamais eu aucun feeling avec les animaux, comme si ces derniers, de quelle qu'espèce soit ils, le craignaient un peu, le fuyaient. Ils ne pouvaient donc être attirés que par Bérénice...

Il jeta un œil à gauche, à droite, comme pour s'assurer qu'ils étaient suffisamment seuls et dit, avec une mine abattue :

-Ce matin-là, je vous ai vue. Chez moi. Enfin je veux dire...dans ma tête. Je suis désolée, c'est assez confus et...je n'ai pas l'habitude de devoir l'expliquer.

Il inspira profondément et reprit :

-Dans une sorte de vision, j'ai vu vos yeux. J'ai entre-aperçu votre visage. C'était puissant et très angoissant. Quelques heures plus tard, je vous ai reconnue dans l'auditoire, exactement comme dans ma vision. D'où mon...trouble.

Les yeux baissés comme en attente d'une sentence, il se mordit la lèvre.

-Et ça vous arrive souvent ce genre de phénomène ? dit Bérénice.

-Trop souvent. Surtout si je tombe en rade d'ordonnances d'anxiolytiques...

-Et...c'est récent ?

-Oh... une trentaine d'années je dirais, dit-il, en se frottant le menton à nouveau.

Bérénice retint son souffle en écoutant Ulysse. Elle était fascinée par ce qu'elle entendait et en même temps, elle ne put s'empêcher de ressentir l'immense mélancolie qui émanait de lui.

Un blanc s'installa entre eux. Blanc que Bérénice s'empressa de briser. Elle prit son smartphone dans les mains et consulta l'heure.

-Bon. Vous savez quoi ? Il y est parfaitement l'heure du repas et il s'avère que j'ai faim. Manger un bout ça vous tente ?

-Heu...

-Là-bas, vous voyez, il y a une brasserie au bord du lac. Venez, c'est simple mais fantastique.

Elle se retint de lui toucher le bras à nouveau pour l'emmener, mieux valait ne pas s'aventurer sur ce terrain-là deux fois.

Lorsqu'ils entrèrent, ils furent accueillis par une ambiance chaleureuse. La structure en bois de la bâtisse dégageait une douce odeur boisée. En ce soir de semaine, il restait de nombreuses tables disponibles. Bérénice choisi une table jouxtant la baie vitrée, elle adorait la vue qu'elle offrait sur le lac paisible.

Bérénice commanda un plat de linguine aux palourdes tandis qu'Ulysse se tâtait. A vrai dire, il n'avait absolument pas faim, son estomac noué l'empêchait de se décider. Il opta malgré tout pour une salade.

-Vous êtes végétarien ? constata-t-elle.

-Oui.

-Ca ne m'étonne pas

-C'est-à-dire ? fit-il sur un ton perplexe.

-Hé bien, ça complète plutôt bien le tableau. Vous êtes Scorpion non ?

-Je n'en ai absolument aucune idée, dir-il tandis qu'il piquait dans un poivron.

-Mais enfin...tout le monde connait son signe astrologique non ? Pas besoin d'être initié à la sorcellerie pour sav...

-Je n'ai aucune idée de la date exacte de ma naissance. Ni même du lieu.

Quelque chose encourageait Ulysse à relater à cette fille des éléments de sa vie qu'il considérait comme relevant de sa plus stricte intimité. En réalité, il se détendait peu à peu. Il constata que sa présence l'apaisait.

Et si sa vision d'elle n'était pas une mise en garde mais une direction à emprunter ? Et si, le fait d'avoir systématiquement associé ces phénomènes à de l'angoisse avait biaisé son jugement ? Peut-être n'avait-il jamais su faire la distinction.

Les yeux d'améthysteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant