XXVI/ What the chain

18 1 0
                                    

On avait accédé à la demande du malade : le jour suivant, on l'avait transféré vers sa chambre dans l'auberge – tout en prenant le soin de le fournir en potions.

Harry et Hermione avaient parlé de son cas à leurs conjoints respectifs – Ginny et Ron – qui s'étaient tous deux montrés attristés par cette morose histoire. Ginny, qui se souvint des quelques conversations qu'elle avait tenues avec lui il y a longtemps, à Poudlard, décida sur un coup de tête d'aller lui rendre visite pour le revoir une dernière fois et essayer de lui remonter un peu le moral. Elle et Harry se remémorèrent également l'amitié qui l'avait lié à Fred et à George ; bien que d'abord réticents à aller en parler à l'unique jumeau survivant, ils finirent par se dire qu'il serait sans doute pire qu'ils lui cachent l'information sur le retour de Lebedev en Angleterre et allèrent le voir dans son magasin de farces et attrapes.

Depuis plus de cinq ans, le magasin n'était pratiquement plus géré que par Ron, devenu l'associé de son frère ainé après une brève carrière d'Auror. La perte de Fred avait complètement brisé George : ses tentatives de se reconstruire échouèrent les unes après les autres ; il passait à présent le plus clair de son temps enfermé à double-tour dans le petit laboratoire derrière l'entrepôt de la boutique, à bricoler sans conviction des pétards, des feux d'artifice ou des bonbons piégés. Mais l'âge d'or du Magasin de Farces pour Sorciers Facétieux était passé depuis longtemps : Ron se contentait de revendre d'anciens produits car toute énergie et toute trace d'inventivité avaient peu à peu quitté George.

Harry et son épouse savaient qu'il fallait traiter l'homme avec précaution. Ils essayèrent de lui annoncer la nouvelle de la mort prochaine d'un énième ami avec le plus de douceur et de tact possible, pour éviter qu'il ne l'apprenne plus tard d'une manière brutale.

George, alors assis devant la table de son atelier, réagit à peine, baissant seulement son regard constamment voilé de tristesse. Depuis quelque temps, il ne prenait plus vraiment soin de lui : sa redingote magenta aurait nécessité un bon lavage et une barbe de quelques semaines mangeait ses joues jadis marquées par le sourire ; ses cheveux roux mal coupés et graisseux encadraient son visage, masquant son oreille manquante. Ses yeux étaient presque aussi vides que ceux d'un mort.

« J'irai le voir », déclara-t-il enfin au bout d'une trentaine de secondes.

Le couple de mariés l'examina soucieusement avant de partir. Ils n'étaient pas sûrs d'avoir fait le bon choix – mais George leur en aurait sans doute voulu s'ils ne lui avaient rien dit.

C'était un samedi orageux. George Weasley franchit lentement la porte du Chaudron Baveur, répondit à peine au salut amical du barman et monta les marches des escaliers une à une. Il n'était pas certain de vouloir le revoir... il lui rappellerait sans doute des tas de souvenirs, des souvenirs qui le feraient regretter, qui lui feraient mal... il lui rappellerait Angelina Johnson, il lui rappellerait Lee Jordan, il lui rappellerait...

George s'arrêta un instant, les yeux fermés, les poings crispés, en plein milieu du sombre escalier grinçant en bois. Il sentit le besoin de s'agripper à la rambarde, de sentir un contact solide sous ses paumes... Peu de personnes l'avaient vu pleurer au cours de sa vie, jusqu'à une époque relativement récente il affichait systématiquement le sourire, faisait des blagues pour égayer son entourage, riait comme s'il était parfaitement insouciant. C'était son moyen à lui d'oublier, de se savoir utile, de ne pas sentir le vide profond douloureusement creusé dans son âme. Peu de personnes l'avaient vu sans ce masque de clown. Malgré lui, il jeta un regard craintif autour de lui, effrayé à l'idée qu'on puisse le surprendre ainsi... mais à la réflexion, il se dit qu'il s'en fichait. Du revers de la manche, il sécha les quelques larmes qui avaient dégouliné sur ses joues et, le regard vague, il acheva de monter les marches.

The Good SnakeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant