XVIII/ And what art

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« On s'est pris trois heures de retenue pendant trois semaines !

« Neuf heures de notre vie, gâchée...

« ...réduite à néant...

« ...écrabouillée en bouillie...

« ...un peu comme ce champignon... Nikita, t'étais censé le découper délicatement, pas en faire du pâté pour Niffleur !

« Oh, pardon ! J'avais l'esprit ailleurs ! Pardon, petit champignon...

« Bordel, on va encore se taper un D... »

Les trois lascars étaient en cours de potions, le lendemain. Nikita n'avait presque pas dormi de la nuit, trop occupé à dévorer le nouveau livre dont il avait fait – illégalement – l'acquisition. Le professeur Rogue avait depuis longtemps abandonné l'idée d'enseigner quoi que ce soit au Serpentard réfractaire, et préférait contourner la paillasse occupée par les Weasley et lui pour ne pas déprimer en constatant le désastre. Étrangement, il ne faisait presque aucune remarque sarcastique à Nikita : il avait pressenti les prédispositions de l'étudiant étranger vis-à-vis de la Legilimancie et ne souhaitait en aucun cas aborder le sujet avec lui. Nikita lui aussi se doutait de la nature de maître Occlumens du professeur, et bien que sa curiosité naturelle le poussât à croiser son regard pour tenter d'y déceler une confirmation, il respectait son attitude distante et sa volonté de rester évasif, si bien qu'il n'avait en réalité aucune idée du niveau de Rogue en matière d'arts de manipulation mentale.

Les jumeaux passèrent la journée à le questionner au sujet de ce qu'il avait appris dans le livre volé, mais il resta volontairement flou. Il venait tout juste d'aborder la théorie : il fallait d'abord qu'il la comprenne pleinement, avant de commencer à s'attaquer à la pratique. L'approche de Crane-LeClair – l'auteur du livre – sur le sujet était assez déroutante : il n'avait pas l'air de considérer les illusions comme de simples ruses, des trucs de manipulateurs, mais voyait en elles des entités à part entière, brodées dans le tissu même de la magie. Pour lui, le temps et l'espace étaient deux dimensions presque interchangeables : on pouvait « tisser » aussi bien en des points distincts de l'espace qu'en des points distants du temps. L'important, c'était de ressentir par toute son âme les vibrations qu'émettait la trame complexe que formait la magie – sa propre expression dans la préface de l'ouvrage. À partir de là, on pouvait modeler le monde des sensations à ses souhaits.

Jusque-là, Nikita était surtout versé dans les illusions d'optique, qui consistaient à créer une sorte d'enveloppe en trois dimensions sur les parois de laquelle se reflétait l'image qu'il souhaitait faire voir aux gens. Il savait, dans une certaine mais moindre mesure, créer des illusions de toucher et de son, mais chacune de ses illusions se brisait dès lors qu'un autre sens était utilisé par ses observateurs : lorsque quelqu'un voulait toucher les illusions concernant la vue, elles se morcelaient, lorsque quelqu'un essayait de voir une illusion de toucher ou de son, elle disparaissait, soit dans une sensation, soit dans un bruit de miroir qui se brise. Crane-LeClair proposait une approche radicalement différente, consistant à mêler toutes les sensations d'un coup – quitte à manquer de réalisme sur certains détails – pour faire ainsi tenir l'illusion même lorsque quelqu'un essayait d'interagir avec. Évidemment, cette méthode demandait bien davantage de concentration et produisait des illusions beaucoup plus éphémères – mais l'idée séduisit Nikita presque immédiatement.

Bien sûr, l'ouvrage ne manquait pas de traiter d'une composante essentielle de l'art des illusions – à savoir, la psychologie de ceux à qui elles étaient destinées, ce qui était sans doute la raison pour laquelle il avait été placé dans la Réserve, parmi des livres jugés dangereux. L'auteur abordait la question de manière très directe, détachée, presque froide et cynique, présentant de manière claire et précise toutes les techniques de manipulation qui existaient, même certaines purement moldues. Nikita en connaissait déjà beaucoup – la plupart du temps, il s'en servait d'instinct, uniquement guidé par l'intuition – mais fut néanmoins très satisfait de cette classification rationnelle donnée par Crane-LeClair. L'auteur précisait également les risques encourus après surexposition aux illusions : troubles émotionnels, possibles hallucinations, insomnies, épilepsie... L'esprit des gens ainsi abusés finissait parfois par perdre ses repères – chose assez compréhensible – et la combinaison de tous ces symptômes pouvait conduire jusqu'à la folie. Mais les spectateurs n'étaient pas les seules personnes à risques, les lanceurs d'illusions étaient tout aussi vulnérables : le tout, c'était de ne pas user tous les jours de ses talents et d'effectuer des exercices de relaxation et d'introspection après chaque session intense pour vérifier son propre état mental, pour se raccrocher à la réalité et demeurer lucide. De ce côté-là, Nikita estima s'en sortir plutôt bien : il avait l'habitude de ce genre de pratique et sa santé émotionnelle et relationnelle était très stable. Il avait une assez bonne conscience de ses limites et savait quand il tirait le bouchon trop loin, dans quelles situations il devait demander de l'aide à ses proches.

The Good SnakeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant