XXXI/ Dare its deadly

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La chasse fut fructueuse : au prix d'un combat acharné, Eztli avait assommé et dépouillé trois Bicornes de leurs précieuses cornes et en avait tué deux autres. La caverne était un repaire où les Bicornes faisaient leur nid et élevaient les petits : elle avait laissé vivre les jeunes au détriment des adultes, et n'avait pas touché aux tout-petits. Bien que braconnière, elle avait ses principes.

Ils décidèrent que cela allait suffire pour ce jour et s'en allèrent rejoindre un village sorcier portuaire pour négocier la vente : c'était là le domaine de Nikita.

Tout d'abord, il fallait s'assurer que leur acheteur serait un Européen, et pas un intermédiaire étranger qui aurait voulu faire du profit en revendant par la suite la marchandise à un prix plus élevé. Ça, c'était une tâche facile : en deux, trois questions, le maitre Legilimens pouvait déterminer l'origine de son interlocuteur en se basant sur son accent, les expressions qu'il utilisait, sa gestuelle... il n'avait même pas besoin d'user de magie !

Au bout d'un moment passé à arpenter la ruelle marchande, il finit enfin par tomber sur un vendeur portugais : la différence avec l'accent brésilien avait beau être minime, tout dans son attitude indiquait qu'il était étranger et venu récemment par bateau. C'était un jeune homme d'une trentaine d'années, probablement le fils d'un commerçant étant donné l'impression d'habitude qu'il dégageait en plein milieu d'une foule de marchands qui criaient pour vendre leurs produits. Nikita fit semblant de s'intéresser à ses articles – des ingrédients pour potions – puis, s'étant assuré qu'aucun membre de la Brigade Anti-Braconnage n'était dans les parages, fit signe au Portugais d'entrer dans sa tente de fortune.

Le riche ameublement à l'intérieur de la tente indiqua au « négociateur » qu'il avait frappé à la bonne porte : son interlocuteur était un honnête homme, mais gagnait bien sa vie et aimait son petit confort. Il lui suffirait de se montrer juste un peu persuasif pour lui faire accepter une marchandise d'origine louche...

Au terme d'une longue discussion, Nikita ressortit de la tente sans avoir rien vendu. Il alla se promener environ une heure ou deux dans le reste du village, abordant quelques autres commerçants, sachant pertinemment que son « poisson » le surveillait de loin, vert de frustration. Faire monter la tension à son paroxysme, puis faire signer n'importe quel contrat : voilà le secret dont usait Nikita Lebedev.

Au final, les cornes de Bicornes furent vendues à l'équivalent de mille cinq cents Gallions pièce – au lieu des deux cents proposés originellement par l'honnête marchand. C'était une excellente affaire ! Nikita avait persuadé son acheteur des bénéfices qu'il allait tirer de ce gain une fois en Europe, où la pénurie de cornes de Bicornes faisait des ravages. Il lui avait tellement vendu du rêve que le malheureux Portugais avait complètement oublié ses réticences liées à l'origine visiblement illégale de sa marchandise. Il avait donné quasiment toute sa fortune et s'était même un peu endetté, dans l'espoir fou de récupérer au décuple ses pertes une fois en Europe – sans se dire un seul instant qu'aucun apothicaire ne lui achèterait des cornes à plus de deux mille Gallions pièce, pénurie ou non.

Satisfait, l'argent en poche, le rouquin s'en alla rejoindre sa charmante comparse qui l'attendait à l'orée du village, souriante, prête à les faire transplaner chez elle.

Ils allèrent se coucher tard cette nuit-là, trop occupés à fêter l'acquisition d'un tel paquet d'argent. Avant de le connaitre, Eztli peinait à revendre les fruits de ses braconnages – elle devait constamment se montrer prudente pour éviter de se faire prendre et ne pouvait par conséquent refourguer sa marchandise qu'à des commerçants du marché noir, qui payaient beaucoup moins, conscients que leurs fournisseurs n'avaient pas vraiment le luxe de choisir en contactant la concurrence. Depuis qu'ils travaillaient ensemble, cependant, ses gains avaient presque été multipliés par vingt – malgré la présence d'un associé qui prenait la moitié des bénéfices : Nikita parvenait sans peine à négocier avec des vendeurs honnêtes, leur faisant croire que leur activité n'avait rien d'illégal (malgré tous les indices allant dans le sens contraire) et les escroquant avec une facilité déconcertante grâce à quelques trucages, illusions ou manipulations. Eztli allait parfois jusqu'à se demander s'il avait réellement travaillé dans la recherche – et pas plutôt dans l'arnaque de haut vol.

The Good SnakeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant