L'œil du cyclone

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Le soulagement est instantané au creux de mon ventre tandis qu'à côté de moi, Lydia se tend. À la minute où elle prend une grande inspiration, je sais qu'elle va intervenir, alors mécaniquement, et avant qu'elle n'ait le temps d'ouvrir la bouche, je la tire en arrière et accroche mes doigts aux siens, la coupant ainsi dans son élan. Le long soupir que laisse échapper mon beau-père dès qu'il croise les yeux de sa fille me fait immédiatement regretter mon apaisement soudain. Une lassitude que je ne lui avais encore jamais vu traverse son regard. Et encore plus violent que n'importe quelle claque du monde, la déception qui étend ses traits m'assaille. J'ignore pourquoi sa réaction me pèse autant alors que depuis des mois, je m'efforce de trouver les meilleurs moyens pour emmerder Elena.

Sans qu'elle ne soit conviée, la culpabilité fait son grand retour dans ma poitrine : la pique, la tord, la malmène jusqu'à ce que je détourne le regard de la brune et me mette à fixer le mur du salon. Je sens mes mains devenir moites alors je raffermis ma poigne sur Lydia, comme si cela allait y mettre un terme. Je me raccroche à ma meilleure amie, pour ne pas fléchir et faire quelque chose, qu'à coup sûr, je regretterai. Le silence retombe dans la pièce, un silence ravageur qui engouffre tout sur son passage. À l'image de Milano, ne puis-je m'empêcher de penser. Quand enfin, je crois qu'Alan va dire quelque chose, n'importe quoi, pourvu que cela brise l'ambiance pesante, c'est la voix incroyablement rauque et agaçante de M. Blent qui résonne.

— Je peux savoir pourquoi une parfaite inconnue conduisait votre voiture ?

Il s'adresse à ses deux fils, mais c'est sur Jordan qu'est posé son regard accusateur, ivre de colère. Et comme toujours, Jo fait face aux reproches de son père tandis que sa mère et Sam s'en sortent en fermant aussi bien la bouche que les yeux.

— Ce n'est pas une inconnue, contredit mon ami d'une voix posée, bien que moins assuré qu'à l'habitude.

Je sais dans la seconde qu'il ne tardera pas à la regretter. Il finit toujours par le regretter.

— Ce n'est pas parce que tu la sautes que ce n'est pas une inconnue.

Jordan ne s'attendait pas à pareille réponse, personne je crois. Il reste bouge-bée, incapable de répliquer tandis qu'en moi, une colère sourde se met à gronder. Lydie s'arrache de ma poigne et mon cœur se pince lorsque j'aperçois les traces rouges qu'ont laissées mes doigts sur sa peau.

— EH ! Je vous interdis de parler de ma fille de cette manière.

Le cri d'Alan nous fait sursauter Lydia et moi, notre mouvement de recul est presque automatique. Je n'ai pas l'habitude de voir mon beau-père énervé, et cette vision ne fait que confirmer qu'une histoire entre Milano et moi serait tout simplement inenvisageable. Sa bienveillance habituelle a laissé place à un air féroce et des traits durs. Je crois un instant, espère secrètement même, que ma mère va intervenir et calmer son mari — une dispute entre les deux hommes viendrait bousiller l'équilibre déjà fragile de notre groupe — mais elle n'esquisse pas le moindre mouvement, se contentant, elle aussi, de fusiller le père de mes amis du regard.

— Messieurs, restons calmes et n'accablons personne plus qu'un autre. Il me semble qu'Elena n'était pas seule décisionnaire cette nuit-là. Gardons cela à l'esprit si vous le voulez bien, rappelle Mme Black, la mère de Raven, avec un calme que j'admire.

Je suppose qu'en tant qu'avocate, elle est habituée à ce genre de confrontations.

— Je pense qu'on peut tout de même accabler cette jeune fille un peu plus que les autres. Et lui rappeler qu'on ne conduit pas quand on ne sait pas le faire. Peut-être que monsieur Milano aurait dû intégrer cette information à l'éducation de sa fille.

AdrénalineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant