L for Loser

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— Je ne vais pas faire durer le suspense plus longtemps les garçons, je pense que vous avez tous hâte d'aller prendre une bonne douche. Sachez que cette décision n'a pas été facile à prendre, on a de très bons éléments mais il a fallu faire un choix. Cette année le poste de capitaine revient à Jake Manson.

L'annonce du coach Lewis a l'effet d'une bombe. Lydia lâche une série de juron. Comme par automatisme, je relève la tête en direction du terrain. Jake s'avance vers son coach pour lui serrer la main, le soleil fait ressortir ses yeux verts et sa peau brune. Il affiche un sourire fier tandis que derrière lui, Raphaël est dépité. Lui, qui, d'habitude ne laisse rien paraître quant à ses émotions, ne cache pas sa déception. C'est assez troublant, j'ai l'impression de percer ses faiblesses. L'agitation prend l'équipe lorsque le coach leur dit qu'ils peuvent partir. Les garçons se ruent vers les vestiaires. Lydia et moi rejoignons nos amis sur la pelouse. Dans une énième provocation, Jake fait un clin d'œil au fils de ma belle-mère. Il ne réagit pas, à mon grand étonnement. Néanmoins, sa mâchoire se crispe, bien plus que lorsqu'il est avec moi. Mike tente de le réconforter et pose sa main sur son épaule mais le brun se dégage violement d'un coup d'épaule et part se changer dans les vestiaires.

— Je la sens pas du tout l'ambiance dans l'équipe cette année, grommelle le petit ami de Lydia.

— Moi non plus, mon pote. Moi non plus, répond Mike en soufflant.

Lydia félicite les garçons pour leur jeu et nous les laissons rejoindre les vestiaires à leur tour. Lydia traverse le parking, la tête baissée. J'arrive à capter son regard une ou deux fois, ses iris marrons trahissent sa déception, la même que j'ai pu apercevoir dans les yeux des garçons mais surtout dans ceux de Raphaël. Le brun ne tarde pas à arriver, sans un mot ni un regard dans notre direction, il déverrouille la voiture et grimpe en silence. Je laisse Lydia s'installer à l'avant de la jeep et monte dans le véhicule. Lauren a fait réparer la vitre arrière, effaçant toute trace de mon accès de colère. L'aîné de la famille Drockfeler fait rugir le moteur et sort en trombe du parking. Je ferais bien une réflexion sur sa conduite mais vu l'état dans lequel il se trouve je ne suis pas sûre que ce soit la chose la plus judicieuse ; je ne suis pas complètement inconsciente et je n'ai pas l'intention de mourir à dix-sept ans. L'ambiance quand nous sommes ensemble est très peu souvent enjouée pourtant elle n'a jamais été aussi mauvaise qu'aujourd'hui. Personne n'a pipé mot depuis que nous avons quitté le lycée, il y a dix minutes. Sous mes yeux attentifs, le paysage défile. Les artères bondées cèdent leurs places aux rues calmes des quartiers résidentiels. Les maisons d'architectes se succèdent, créant un décor à la Desperate Houswives. Raphaël ralentit enfin, et se gare dans le garage. Je descends du véhicule, mon sac en mains et claque la portière. De l'autre côté de la voiture, Lydia et Raphaël discutent. Je les observe discrètement mais je n'entends pas ce qu'ils se disent, ils parlent trop doucement. Le brun hoche la tête, Lydia finit par s'écarter après lui avoir embrassé la joue.

— À demain ! nous salue mon amie joyeusement d'un geste de la main.

Je l'imite et passe la porte qui mène à l'intérieur de la maison. Noah et Gabriel sont avachis sur le canapé et jouent aux jeux vidéo. Je me serre un verre d'eau dans la cuisine et le boit en scrutant les garçons dans le salon. Noah cri de joie, les bras levés en signe de victoire. Je l'entends charrier le frère cadet des Drockfeler.

— Ça ne compte pas, je t'ai laissé gagner ! se défend ce dernier en pointant la télévision.

Les mots Game Over clignotent sur la partie droite de l'écran, celle de Gabriel. Je souris en voyant les deux jeunes se taquiner, je ne pensais pas que mon frère s'adapterait si vite à sa nouvelle vie. Mais il est clair qu'il y arrive, et bien plus facilement que moi. Malgré ma rencontre avec Lydia et sa bande je n'arrive pas à me détacher de ma vie new-yorkaise, celle que j'ai connue pendant dix-sept ans. Ma ville me manque, l'ambiance qui y règne, aussi. Mon sourire d'il y a quelques secondes se mue en une grimace crispée. Je ne pensais pas que le changement serait si dur. Pourtant, à part mon meilleur ami, pas grand-chose ne me retenait sur la côte Est. Ma mère est en Afrique et Jason, en Australie. Je passais la plupart de mon temps avec Ayden et ses amis alors les quelques connaissances que je fréquentais au lycée ne me manque pas plus que ça. J'ai bien essayé de faire un effort comme je l'ai promis à ma mère « Laisse une chance à la Californie » m'a-t-elle répété des centaines de fois, les semaines qui ont précédées le déménagement ; mais rien y fait, je ne me sens toujours pas bien à Los Angeles. Tout ici est démesuré et semble irréel. Les gens, les voitures, les quartiers résidentiels aux allures de décor de cinéma, sans parler de l'accent qui me fait tiquer chaque fois que je l'entends. Je ne suis pas habituée aux accentuations des voyelles ou aux expressions californiennes. Même mon père commence à allonger les terminaisons de ses mots, gommant toute trace des presque quarante-cinq années qu'il a passées à New York.

AdrénalineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant