Battle Square Gardax

391 26 10
                                    

— Toi non plus tu n'arrives pas à trouver le sommeil ?

Je sursaute, renversant un peu de mon verre d'eau sur le haut de mon pyjama puis me retourne pour observer Hanton Drockfeler entrer dans la cuisine.

— Moi j'ai l'excuse du jetlag, je suis rentré hier d'un aller-retour Los Angeles-Bangkok, précise-t-il. Et toi, c'est quoi la tienne ?

Impossible de lui dire ce que j'ai vraiment sur le cœur, je doute que savoir que son fils aîné s'amuse à jouer avec mes nerfs soit une réponse convenable alors je balance la première chose qui me vient à l'esprit. La seconde qui m'obsède vraiment.

— C'était pas moi qui conduisais le soir de l'accident.

Hanton prend le temps de choisir ses mots avant de me répondre, il se sert un verre de lait d'avoine et s'assoit à la table de la cuisine en m'invitant à l'imiter d'un geste de la main éloquent.

— Je sais, prononce-t-il finalement.

Sa réponse me soulage autant qu'elle m'inquiète. Raphaël lui a-t-il parlé ? L'a-t-il dit à quelqu'un d'autre ? Comme s'il lisait dans mes pensées, M. Drockfeler rajoute :

— Je l'ai deviné tout seul. Je ne veux pas te vexer Elena, mais tu n'es pas vraiment une très bonne menteuse.

Je souris, incapable de le contredire, bien qu'au fond de moi, je pense tout le contraire. Cela fait des années que je cache à mon entourage ce que je ressens et pour être aussi discrète sur ses sentiments que je le suis, il faut bien apprendre à mentir parfois.

— Tu sais, ma grande, si j'ai deviné que tu mentais, ton père s'en doute sûrement aussi et si ce n'est pas le cas, alors ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne s'en rende compte. C'était Lydia qui conduisait ?

Par réflexe, mes yeux se lèvent, et je me fige. Mon cœur se met à battre plus vite. Je n'ai aucune envie de la balancer, ni même qu'elle ait des ennuis à cause de moi, ainsi je garde le silence.

— Je ne compte pas l'incriminer ou la dénoncer à ses pères, tu as choisi de t'accuser à sa place et je ne te demanderai pas pourquoi non plus, je veux seulement savoir.

Je sonde ses yeux gris, j'y lis une tendresse et une bienveillance à toute épreuve et sans trop savoir pourquoi, je lui accorde immédiatement ma confiance.

— Oui, c'était elle.

Il hoche la tête, reconnaissant de mon honnêteté.

— Comment elle l'a vécu cet accident ? Est-ce qu'elle va bien ?

Je suis un peu étonnée de l'absence totale de remontrance ou de colère mais me sentant libre de me confier, je continue :

— Elle culpabilise énormément, pour le chevreuil et pour moi. Cette soirée n'a vraiment pas arrangé son anxiété. Mais on essaie de la rassurer et de lui montrer qu'elle n'est pas seule dans cette épreuve. Je crois qu'en fait elle a juste eu très peur. Et je la comprends, j'ai eu peur moi aussi.

Cet aveu arrache un poids à mes épaules. Depuis une semaine, mon cerveau est en complète ébullition, songeant tantôt à ma dispute avec mon frère aîné, à la déception de mon père, à l'énigme que représente Raphaël. Ces derniers jours n'ont été que larmes, interrogations et remises en question, un véritable brouillard d'émotions. Pourtant pas une seule fois je me suis autorisée à m'interroger sur ce que moi, j'ai ressenti ce soir-là, sur cette route mal éclairée de Malibu. L'angoisse, la terreur, la mort. Je ne l'avais encore jamais vue de si près. Je pensais pouvoir surmonter ça, être plus forte qu'elle, pourtant le soir quand je suis dans mon lit et que je ferme les paupières, l'image de cet animal agonisant me revient en mémoire. Et je ne peux m'empêcher d'entendre à nouveau le craquement de ses os sous mes massages, de revoir son sang chaud et visqueux sur mes mains, de ressentir l'effroi et le désespoir quand j'ai compris que mes efforts étaient vains. Cette soirée a laissé une empreinte glaciale sur mon cœur et je ne le réalise que maintenant, dans cette cuisine alors que je fais tourbillonner l'eau dans mon verre pour ne pas avoir à affronter Hanton.

AdrénalineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant