Sting like a memory

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PDV Raphaël

— Huit. Neuf. Allez encore une, un petit effort. Et dix.

Je m'écroule lourdement sur la pelouse dès lors que Mike annonce la fin de ma troisième série de pompes. Phoenix me saute sur le dos au même moment. Contrairement à moi, ce gros balourd de berger allemand est infatigable. Je n'en peux plus, j'ai les bras en feu et aucune force dans le reste du corps. Comme il voit que je ne bouge toujours pas, il se met à gratter mon oreille de son museau, sa truffe mouillée étire un rictus sur mes lèvres et je capitule en très peu de temps. Ce chien est plus redoutable que les yeux de merlan frits de mon petit frère.

— Vous comptez rouler des pelles au gazon toute la journée, tous les deux ?

Je lève mon majeur à l'intention de mon ami et lui jette un regard noir quand il me pousse du bout du pied. D'un geste rapide, je lui attrape la cheville et le déstabilise. Le blond ne met pas plus de trois secondes à s'écrouler, dans une chute peu élégante, mais en tous points, hilarante. Je me marre sans me cacher tandis qu'il grogne et murmure quelques insultes bien senties. Je roule sur le côté pour m'allonger sur le dos et fixe le ciel. L'après-midi est déjà bien entamé et des nuages menaçants couvrent l'étendue de bleu. Phoenix se roule dans l'herbe innocemment à ma droite, arrachant des bouquets de brins d'herbes de temps à autre.

— J'ai mal à la main à cause de tes conneries, râle Mike.

Je lance un regard furtif au pansement qui protège sa paume. Il le frotte énergiquement, je ne m'excuse pas, pas mon genre. À la place, je me mets à jouer avec mon propre bandage. La terre et l'herbe l'ont un peu coloré. Contrairement à celle du blond, en cinq jours, ma blessure a presque entièrement cicatrisée. Il n'y aura bientôt plus que comme seul témoin de cette soirée désastreuse qu'une mauvaise cicatrice et quelques souvenirs enfouis. Pas si enfouis, je songe amèrement. Je ne cesse de me rejouer la nuit en boucle, tentant de comprendre à quel moment exactement tout est parti en vrille et j'en viens toujours à la même conclusion : cette putain de danse avec Elena. Je soupire en passant les deux mains sur mon visage couvert de sueur. J'ai fait des efforts inimaginables pour me la sortir de la tête mais l'univers tout entier semble s'être ligué contre moi, depuis cinq jours je ne pense qu'à une chose : le souffle saccadé et les lèvres gonflées de la fille de mon beau-père. Et cet horrible regard qu'elle m'a lancé avant de s'élancer à la poursuite d'Erine. Ça m'a retourné les tripes. Littéralement. Je me suis précipité dans la salle de bain pour limiter les dégâts. C'était trop d'un coup, ou alors ce regrettable passage aux toilettes n'était que le résultat des trop nombreux verres de whisky-soda ingurgités au cours de la soirée. Possible. Quoi qu'il en soit, quand j'ai émergé au rez-de-chaussée, le drame avait déjà eu lieu. Je n'ai pas été étonné d'entendre qu'Eli avait envoyé son point dans la figure d'Erine, je crois qu'en réalité, elle en avait envie depuis un certain temps.

— À quoi tu penses ? se renseigne Mike en me tirant de ma réflexion.

Je sursaute à l'entente de sa voix, j'avais presque oublié qu'il était là. Le soleil me crame la rétine, alors je tourne la tête avant de répondre. Je reste le plus évasif possible. La dernière chose dont j'ai besoin, c'est que mon meilleur ami vienne fourrer son nez dans les rouages de mon cerveau.

— À des trucs.

— Mais encore ? insiste-t-il.

Visiblement, ma réponse ne le satisfait pas.

— Je pensais aux sélections de foot pour la fac. J'espère que les recruteurs de Stanford viendront cette année.

Je déteste mentir à Mike. Je déteste mentir tout court, mais il y a des sujets sur lesquels je n'ai tout simplement pas le choix d'être malhonnête. Et depuis cinq mois, Elena Milano est en tête de liste. De toute manière, je ne saurais pas quoi lui dire, je ne sais pas moi-même quoi penser de la situation. Est-ce qu'elle me plaît ? Je crois que les quelques baisers échangés en cachette en sont la preuve. Mais est-ce que je veux m'engager dans une voie, qui, je le sais, est vouée à l'échec ? Risquer de tout perdre : l'amitié d'Erine, le bon équilibre de ma famille, ma santé mentale ? Je ne suis pas sûr d'avoir le courage de tout foutre en l'air, surtout pour une fille, aussi intéressante et outrageusement belle et sexy soit-elle.

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