Echec et mat

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Je joue avec mon crayon à papier, le fais tourner entre mes doigts en fixant le sujet de mon devoir et le peu de notes que j'ai pris pour l'instant. Cette dissertation de littérature tombe vraiment au pire moment, outre le vice de donner un devoir maison noté une semaine après la rentrée, c'est surtout que l'absence de mon ordinateur me prive d'une source infinie d'informations. J'ai essayé de plaider ma cause en avançant cet argument, mais mon père n'a pas flanché et m'a sorti la phrase la plus bateau qu'un parent puisse un jour sortir dans sa vie : « on faisait comment nous avant ? ». J'ai roulé des yeux et fait demi-tour avant de faire un commentaire désobligeant sur le siècle dernier qui n'aurait, à coup sûr, pas manqué d'aggraver mon cas.

- Aïeeeuh, geint Diego en se frottant la tête.

Ses petits yeux clairs m'interrogent et je ne me rends compte qu'à ce moment précis que le crayon m'a échappé des mains et l'a heurté de plein fouet. Je m'excuse avec hâte et vérifie que Raphaël, installé à la table de la salle à manger, ne m'ait pas vue. Bien que le petit et leur mère m'aient pardonnée cet affreux incident de brownie au piment, Raphaël lui reste méfiant lorsque je suis avec son petit frère. Je ramasse le crayon laissé au sol. Le brun n'a rien remarqué, il n'a, à vrai dire, pas levé son nez du manuel de chimie qui est étalé devant lui. Un instant, je songe même qu'il s'est endormi dans cette position, la tête appuyée sur son poing mais le bruit soudain de la porte d'entrée le fait se redresser et dément mon hypothèse. Mes yeux se dirigent vers l'entrée, cachée par le mur, je devine les gestes de ma belle-mère avec aisance. Ses bottes à talons qui claquent quelques secondes sur le sol avant qu'elle ne les ôte. Puis son manteau qui est à son tour délaissé. Mes sourcils se froncent un peu lorsque je n'entends cependant pas le bruit de ses clefs être déposées sur le petit meuble en chêne qui habille l'entrée. Cette dissertation me monte à la tête, c'est certain. Depuis quand je remarque ce genre de détails ? Et ma belle-mère n'est pas prévisible au point d'exécuter les mêmes gestes rituels, soir après soir. Si ? J'étire un regard en biais au plus jeune de mes quasi-frères, pour m'assurer que je suis bien parano. Le blond ne décroche pas son attention des figurines d'animaux qu'il a reçues à Noël et cela suffit à me rassurer, du moins pendant quelques secondes. Car à peine ai-je le temps de relever la tête et de surprendre l'air interrogatif de Raphaël à l'autre bout de la pièce, que Lauren apparaît, chaussures aux pieds et manteaux encore sur les épaules.

Le visage livide et les yeux vides, elle ne semble même pas nous voir, ni même entendre ses fils l'appeler. À la troisième interjection des garçons laissée sans réponse, l'inquiétude commence à germer dans ma tête. Son état me laisse dubitative, il arrive à ma belle-mère de ne pas être de bonne humeur mais je ne l'avais jamais vue ainsi, aussi... éteinte. Je me redresse, le fauteuil bouge sous mon poids. Diego s'est levé à présent, hippopotame dans une main et antilope dans l'autre, il fixe sa mère dans une incompréhension totale. Lui et moi continuons d'agir en spectateur tandis que Raphaël se lève et s'approche de la femme restée sur le seuil de la pièce.

- MAMAN !

La blonde sort enfin de sa torpeur.

- Ça va ? interroge-t-il la voix gorgée d'inquiétude.

Je roule des yeux sans pouvoir m'en empêcher. Peut-on faire plus bête que cette question franchement ? Lauren ne répond pas, comme pour conforter mes dires, à la place, elle prend une longue inspiration et ferme les yeux. D'un échange de regards, Raphaël et moi, nous comprenons. Je me précipite alors dans la cuisine où mon père a déjà commencé à cuisiner pour ce soir. Dos à moi, il se dandine au son de la musique diffusée par les écouteurs qu'il a enfoncés dans ses oreilles. Je suis obligée de lui tapoter l'épaule pour réussir à capter son attention.

- Elena, tu auras beau essayer de me soudoyer par tous les moyens possibles et imaginables, tu n'auras pas accès à ton ordinateur.

- Non, je... C'est Lauren. Je crois qu'il s'est passé un truc.

AdrénalineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant