Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)

Chapitre 4.

L'atmosphère avait radicalement changé. Là où régnait un tumulte violent et sanglant quelques instants plus tôt, planait un silence si glacial, si lourd qu'un frisson dévala la peau nue de mes bras. Un frisson de délicieuse appréhension qui venait apaiser quelque peu le brasier mal éteint de mon désir insatisfait. Je sentais encore brûler dans mes jambes la passion qui m'avait animée la minute d'avant, dans un besoin irrépressible de sceller mes chairs à celle de mon poète. Mais désormais mon attention était rivée toute entière sur cette autre pièce, cet autre monde où les choses semblaient se jouer, et dont nous n'étions que les spectateurs curieux.

Dante s'était arrêté sur le pallier, à moitié dissimulé par l'ombre. Je m'étais figée à mon tour contre lui alors qu'il enlaçait ma taille presque instinctivement, sa main s'égarant près de mes reins. Mais malgré son contact encore électrisant pour mon corps assoiffé, j'écarquillai des yeux face à la scène qui se jouait désormais devant nous.

Le trône au centre de la grande salle était désormais occupé. Il se tenait là, l'air contrarié, les bras croisés. Ses prunelles mauves scintillaient curieusement, les braises de l'agacement y rougeoyant. Ses boucles brunes glissaient légèrement sur son visage, projetant une ombre qui creusait ses traits à la fois jeunes et assurés. Et son aura, plus ténébreuse et enivrante de pouvoir que jamais s'était répandue dans la pièce en un flot infernal contre lequel personne ne pouvait lutter.

Il était là. Enfin !

Le diable en personne...

Carmine.

Il toisait cette foule démoniaque face à lui d'un regard froid et méprisant, l'air passablement désespéré et exaspéré. Il finit par s'enquérir, faussement mielleux :

« Quelqu'un aurait-il la grande amabilité de m'expliquer ce que c'est que ce bordel sans nom ?

Un bref instant, les démons se regardèrent entre eux, conscient qu'il ne s'agissait plus seulement de s'affronter pour une question de puissance. C'était peut-être la première fois de mon existence que j'étais témoin d'une certaine unité chez notre race maudite. Ils étaient d'accord ! Juste ciel ! La fin du monde devait être proche... Avec son lot de malheurs et de jouissances macabres...

L'un d'entre eux finalement, sûrement animé par moins de lâcheté que les autres, finit par s'avancer et prendre la parole, après s'être incliné brièvement face à celui qui était devenu notre seigneur à tous :

— Il y a des rumeurs qui courent.

Le brun haussa des sourcils, une moue surprise étirant ses traits dorés :

— Déjà ?

Je sentis légèrement mon amant se tendre derrière moi. Il assistait pour la première fois au nouveau rôle de notre petit protégé. Nous allions nous rendre compte si nous l'avions bien préparé à ce qui l'attendait. Pour ma part, je débordais d'une fierté immense à le voir ainsi, digne, sur son trône, sans peur et sans égale. Je m'en enorgueillissais sans vergogne, scrutant avec attention chaque minuscule détail qui laisserait entrevoir la moindre faille. Mais il n'y en avait aucune.

Un autre démon, plus hideux que le précédent, s'éleva à son tour par-dessus les autres :

— On raconte que vous avez juré, en détruisant votre père, que vous entraîneriez l'enfer avec lui. Avec vous.

L'espace d'une fraction de seconde, il n'y eut que le silence pour répondre à l'accusation. La tension était à son comble, presque vibrante dans l'air. Je pouvais m'imaginer tendre la main et la saisir tant elle était palpable, avant que le jeune diable ne rompe enfin cette insoutenable angoisse d'un ton neutre, retenant à grande peine un rictus fier et sardonique :