Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)

Chapitre 30

« Béatrice !

Mon cœur rata un battement brutal, une onde de choc me frappant en plein fouet, douloureusement. Le hurlement de rage de Dante rompit un instant l'étrange transe qui s'était emparé de moi. Mon amant se précipita vers nous. Mais le Mal se retourna et d'un geste le fit s'effondrer au sol. Le cri de souffrance du poète qui se tordait par terre me fit perdre le contrôle.

Pitié non ! Pas lui ! Pas mon amour...

Avec fureur, je me débattis, ruant des coups, faisant appel à mes armes. Mais le métal ne pouvait trancher la fumée. Je ne pouvais l'atteindre. Lui en revanche... Alors que je tentai de le frapper, sa main libre bloqua mon poignet, le contorsionnant dans mon dos, m'arrachant un nouveau hurlement.

Je me retrouvais coincée, bloquée, à moitié pliée en deux, incapable de détacher mon regard du poète qui se tordait au sol, assailli par un brouillard sombre provoquant mille maux, faisant écho à ceux qui me ravageaient sans pitié. Et tous ces murmures, tous ces cris, toute cette folie...

L'emprise du Mal se referma un peu plus sur mes ailes, m'écartelant un peu plus. L'effroi se déversait en moi avec autant de force qu'un raz de marée. Il allait me les arracher. Les déchirer, m'ôter tout espoir. Le sang coulait de mon nez, sur mes lèvres, suivant ma mâchoire. Il se mêlait à mes larmes. Et à travers la mélodie infernale des hurlements de Dante et des tambours grondant de mon cœur, j'entendis l'ombre ricaner, mauvaise, à mes oreilles :

— Nul n'échappe à Regana. Nul n'échappe au Mal.

La poigne qui me retenait semblait d'acier tandis qu'elle n'était que de fumée. D'une main, elle enserrait fortement mon poignet, contorsionné et bloqué entre mes deux omoplates. De l'autre, elle exerçait une telle pression sur mes ailes que j'avais la sensation d'entendre mes os craqués. Et j'étais incapable de bouger, paralysée par cette souffrance insidieuse qui se propageait en moi comme des milliers de lames qui me tailladeraient à vif.

Mais ma douleur n'était pas celle qui comptait.

J'étais entièrement obnubilée par celle de Dante qui, effondré au sol, se pliait en deux, assiégé par le brouillard noir du Mal, un brouillard maléfique, qui rongeait comme de l'acide. Malgré tout, lui-même n'était tourné que vers moi, son bras tendu dans ma direction dans un pur geste désespéré, son regard rivé au mien, hanté par la peur, la rage, le désespoir... Entre nous il y avait cette distance imposée par le Mal. Une distance que je craignais de ne plus jamais franchir.

Tout se finirait-il donc réellement ainsi, ici, si proche du but ?

La respiration haletante, chaque inspiration me déchirant un peu plus de l'intérieur, je finis par baisser les yeux au sol. Un nouveau frisson d'effroi me parcourut.

L'herbe, si verte, si luxuriante sous mes pieds, frémit avant de se mettre à faner, à brunir et à se courber gagnée par un mal obscur. Un mal qui se propageait autour de lui. D'abord, les fleurs qui flétrissaient. Puis les arbrisseaux, dont l'écorce pourrissait. Comme un voile noir jeté sur la nature, recouvrant tout. Et enfin, l'infection gagna le pommier, commençant à grimper le long du tronc, atteignant déjà les branches les plus basses... Autour de nous, la vie fuyait tandis que de lourds nuages couvraient le ciel.

Ce lieu, magnifique, préservé, ce jardin d'Eden était en train de flétrir, attaqué par les ténèbres que nous avions ramenées de Regana... Le Mal était en train de tout détruire autour de lui.

Soudain, la silhouette brumeuse se saisit de mes cheveux, me forçant à basculer la tête en arrière d'un geste brusque. Son souffle pourri se glissa contre ma nuque tandis qu'il ricanait, penché à mon oreille :