Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)

Chapitre 23.

« Comment va ton bras ?

Dante avait noué un nouveau bandage là où la stryge l'avait atteint de ses griffes. Le tissu ne semblait plus imbibé de sang. Fronçant des sourcils, esquissant une petite moue sardonique, il lâcha, décalant une branche qui nous barrait le passage :

— Ça cicatrise. Difficilement cela dit.

Je plissai des yeux avant de soupirer.

— Il va nous falloir nous réhabituer à ne plus être invincible. Rien n'est plus fragile qu'une vie de mortel...

— Il faudra aussi se réhabituer à l'idée de mourir un jour, Bella...

Sa pique me fit frissonner et un rictus étira mes lèvres.

J'étais déjà morte une fois. Dante aussi. Et aujourd'hui, je faisais absolument tout pour fuir l'anéantissement. Mais un jour ou l'autre, la grande faucheuse finirait bien par me rattraper, venir m'emporter, fauchant mon âme au passage. Et pour de bon cette fois...

Cette perspective était glaçante mais elle était surtout accompagnée par l'idée qu'après cela, il n'y aurait plus rien. Ou tout du moins, il n'y aurait plus Regana. Plus de folie, plus de souffrance.

Après tous mes crimes, tous mes péchés, mourir semblait n'être que justice. Je le méritais. Mais pas avant que je n'aie eu le temps de vivre.

— Mieux vaut le plus tard possible alors... soufflai-je, haussant des épaules.

Il acquiesça, la mine sombre. Sur ses traits, planaient la fatigue d'une nuit hantée. Une fatigue qui faisait écho à la mienne.

Nous avions repris notre route aux premières lueurs de l'aube, alors que le ciel d'encre se tachait de sang et d'azure derrière la brume montagneuse. Depuis des heures, nous continuions à évoluer au cœur de cette forêt qui semblait avaler sous ses ombres sylvestres les pentes tantôt douces tantôt abruptes du Purgatoire. Elle n'en finissait plus et je désespérais d'en sortir. Le sommet que nous étions censés atteindre me paraissait être chimère, un objectif miroitant que nous n'avions jamais vu de nos propres yeux. Mais il fallait y croire. Il fallait s'accrocher à la perspective d'y parvenir.

Ou alors céder aux appels du Mal...

Je ne parvenais pas à oublier la silhouette de cette nuit. Son souvenir me revenait sans cesse, se dressant comme une ombre sur ma conscience, laissant un arrière-goût vicié au bord de mes lèvres. Le Mal était parvenu à prendre forme humaine, l'espace de quelques secondes. J'en étais persuadée. Il avait tendu ses mains sombres vers moi avant de s'effondrer et se dissiper. Mais... La question était de savoir s'il aurait pu oui ou non réellement m'atteindre. Si ses doigts fantoches, chimériques, auraient pu me toucher.

Et s'il l'avait pu ?

Un frisson d'horreur dévala mon échine.

La mise en garde de Carmine me revint en mémoire.

« Prenez garde, avait-il dit. Tant que vous étiez à Regana, je pouvais encore contenir un peu le Mal, ne serait-ce que par ma présence. Mais en dehors de ce rivage, je n'ai plus aucun pouvoir. Lui en revanche, pourra doubler son action. »

Le Mal gagnait en puissance. Chaque fois un peu plus. En moi, évidemment, où il semait ses médisances, ses doutes, ses germes de folie. Il ne cessait de tirer plus fort encore sur la portion de mon âme qui lui appartenait, attendant patiemment que les derniers liens se rompent et que je cède entre ses bras maudits. Mais aussi dehors. Hors de moi, il prenait forme, il commençait à réellement se révéler, dévoiler son être pur. Dévoiler ses autres plans.