Le soleil commençait à décroître dans le ciel. Une étrange sensation venait titiller mes sens. Celle de la fin du jour...
Ici, le temps avait repris sa course. Ici le temps existait contrairement à Regana, et il nous échappait curieusement.
Nous avions marché toute la journée entre les rochers et les nuages de brume, le long du flanc de cette montagne escarpée. Les paysages variaient beaucoup. Tantôt plateau, tantôt promontoire, le vide n'était jamais très loin, même si la plage n'était plus perceptible depuis longtemps, noyée par le brouillard. Fébrile, je ne ressentais même pas de la fatigue ou la moindre douleur aux pieds. J'étais sur les nerfs, tendue. Cela faisait trop longtemps que nous marchions sans que rien ne nous tombe dessus. C'était suspect. Très suspect. Ulysse nous avait mis en garde contre la suite.
Et curieusement je faisais confiance au marin égaré.
Désormais, et alors que le crépuscule commençait à embraser la voute céleste de ses feux nous étions arrivés à une sorte de col, un chemin semblant taillé dans la roche, se découpant entre deux parois vertigineusement hautes. Le passage était si exigu, coincé entre les deux pans de la montagne que nous ne pouvions passer que l'un après l'autre.
Je pris la tête sans hésiter, sur mes gardes, prête à faire apparaître une arme au moindre danger. Il y faisait sombre, les rayons du soleil couchant peinant à s'y faufiler, teintant parfois la roche d'un trait pourpre, sanguinaire.
La fraîcheur de l'endroit n'était pas désagréable, et le sol y était plat. Pour une fois, je n'avais pas l'impression de gravir une falaise raide. Et malgré l'étroitesse du passage, nous y évoluions plutôt aisément.
Mais alors même qu'il me semblait voir enfin le bout du tunnel, un étrange scintillement attira mon attention, une dizaine de mètres plus loin.
Quelque chose nous barrait la route, nous empêchant d'avancer, d'enfin quitter ce couloir étriqué qui paraissait ne jamais finir. Il me fallut quelques pas de plus pour comprendre ce dont il s'agissait réellement. Un immense plan ovale se découpait face à nous, occupant toute l'ouverture, prenant appui sur les deux parois. En son cœur, la route se dessinait à l'infini. Nos silhouettes sur celle-ci, elles en revanche, grossissaient à chaque pas de plus.
Un miroir.
Les mises en garde d'Ulysse résonnèrent avec force dans mon esprit. Voilà notre troisième épreuve, celle contre laquelle il avait échoué : les miroirs...
Je commençais à développer une sainte horreur de ces objets. L'une des dernières fois où je m'étais tenue devant une glace, la part angélique en moi s'était réveillée et tout s'était effondré autour de nous. Depuis lors, les choses s'étaient enchaînées sans que nous n'ayons plus le moindre contrôle. Et je détestais ça. Tout était si simple avant...
« Béatrice... m'avertit d'une voix sombre mon amant, méfiant.
Sans l'écouter je m'approchai encore, désireuse de découvrir ce qui allait bien nous attendre pour cette nouvelle épreuve. Le cœur battant la chamade, je m'arrêtai pour contempler la psyché qui me faisait face. Elle ne me renvoyait pas mon propre reflet. Au contraire. Curieusement, ce fut celui de Dante qui se déssinait dans l'ovale qui nous barrait le chemin.
Je ne remarquai pas tout de suite les détails qui clochaient.
Mais l'homme qui me faisait face était différent de celui que j'avais côtoyé ces derniers siècles. Ses cheveux blonds n'étaient pas méchés de noirs, ses traits n'avaient pas la minceur et la pâleur effrayante qu'ils arboraient aujourd'hui, son expression était mélancolique mais chaleureuse et ses yeux... Ils étaient bruns, de ce brun clair, ambré comme le miel, si beau, si profond, comme s'ils pouvaient voir au travers des choses banales du monde pour en extirper leur poésie et l'exhiber au monde. Ce n'était pas le regard d'un homme.
VOUS LISEZ
Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)
Paranormal- Ceci est le tome 2 de Mission "Virgile". Il est préférable d'avoir lu le tome 1 avant pour comprendre l'univers et éviter tout spoil ;) - Ulysse : roi et aventurier grec condamné au huitième cercle de l'enfer pour avoir navigué jusqu'à la montagne...