Chapitre 15.

24 4 0
                                    

La montagne se découpait dans les rayons enflammés du jour qui se levait. Illuminée par un soleil aveuglant, elle semblait prendre vie, ses pentes escarpées se révélant à nos yeux. La roche n'était pas aussi noire que la nuit le laissait penser. Brune, elle était parfois nervurée d'argent, couverte çà et là d'une herbe qui frémissait sous les rafales de vent. Mais nous ne pouvions pas voir jusqu'en haut car une brume matinale se dressait, s'étendant le long des versants.

Les lèvres de Dante finirent par quitter les miennes pour se déposer sur mon front dans un geste tendre, à mille lieux du feu qui nous habitait encore et toujours. Un feu que je chérissais et qui me maintenait en cet instant plus vivante que mon organe dans ma poitrine, faible morceau de chair en charpie.

« Comment te sens-tu ? demanda-t-il, sa voix rauque résonnant jusqu'au plus profond de mon être.

Comment je me sentais ? Aucune réponse convenable ne me venait à l'esprit en cet instant. J'avais mal. Encore terriblement. Mais ça allait déjà mieux que les instants précédents. Au moins n'étais-je plus déchiquetée en boucle par ma propre furie. Mais mon cœur lui... Je le sentais empli de tant d'émotions contradictoires. Peur, doutes, haine... Oh oui, haine.

J'avais mal. C'était de ma faute.

Mais il me fallait bien répondre au poète qui attendait, sans jamais décrocher ses prunelles de moi.

— Vivante... finis-je par croasser, avec amertume.

Mais pour combien de temps ?

Je le toisai un instant. Mes doigts effleurèrent un instant ses traits tandis que je demeurais muette, songeuse. Son visage émacié, ses lèvres pincées, les ombres sous son regard... Comme des cernes. Il semblait épuisé, comme si lui aussi avait été victime du serpent. Et il l'avait été, d'une certaine façon. Tout ce qui me touchait moi, le touchait lui. Mon fardeau était le sien. Ainsi qu'il était le mien. Pour toujours. Nos vies étaient liées, inextricablement. À jamais.

Peut-être était-ce cela notre véritable malédiction ?

— Il faut qu'on parte.

Sa voix m'arracha à ma contemplation, insufflant un souffle électrique dans mes veines. Il avait raison.

Au prix d'un effort qui m'arracha un feulement presque animal, je me redressai sur mes jambes, tremblantes, avant de lever la tête vers le ciel. Le jour m'aveugla presque mais je n'avais jamais été aussi heureuse de contempler la voûte bleuâtre dévorée de rouge.

J'avais l'impression de revivre et en même temps, que mon corps en miette était passé à travers la mâchoire d'un troll –une de ces créatures hideuses qui erraient dans les cercles à la recherche d'une âme damnée à dévorer. Cela faisait plus mal encore qu'après ma métamorphose de stryge à forme humaine. Mes os mille fois brisés n'étaient pas aussi douloureux que ce venin qui m'avait rongée de l'intérieur.

Mon amant scrutait les degrés taillés à même la montagne dans une roche noire, montant abruptement. Ils n'étaient pas bien larges mais suffisamment pour nous supporter et suivaient le flanc de la falaise comme un serpent enroulé autour de sa montagne. En parlant de serpent...

— Le reptile n'est plus là.

Le constat de Dante me tira tout à fait de ma léthargie. M'approchant à mon tour, je grognai, dissimulant ma frustration de n'avoir pas l'occasion d'écrabouiller cette infâme créature :

— Bon débarras,

— Allons-y, se contenta-t-il de soupirer, me dépassant, gravissant les premières marches.

Je plissai des yeux, serrant les poings, avant de lui emboîter le pas. Qu'y avait-il d'autre à faire de toute façon ? D'un rythme presque militaire il s'était engouffré sur l'escalier ardu qui grimpait au ras de la paroi rocheuse. Le bas de sa toge écarlate traînait derrière ses talons, formant un point d'ancrage, piste rubis qu'il me fallait suivre. Mes mains prenant appui sur la pierre, je l'imitai.

Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant