Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)

Chapitre 7.

Tisse, tisse la toile ; que son poétique éclat se reflète sur le monde.

Dans mes mains, les branches de laurier craquaient. Chaque feuille que j'arrachais pour les tresser au cercle de bois dans mes mains dégageait un parfum capiteux. Leur vert sombre tranchait sur la pâleur de ma peau mais se mariait à merveille avec la profondeur du rouge de mes vêtements.

Tisse, tisse le destin ; entre tes doigts il n'est qu'écume sur l'onde.

Mes gestes experts captaient les faibles rayons de lumière qui transperçait la pièce dans laquelle j'avais élu domicile. La salle du trône de Carmine. Le seigneur de Regana était encore absent et depuis qu'il avait chassé d'ici cette meute de démons agités, l'endroit était désert. Parfait donc ! Je ne risquais pas de croiser un autre de ces méprisables êtres pourris jusqu'à la moelle.

Tisse, tisse le voile ; baisse-le, couvre le sacrilège.

Je ramassai une nouvelle branche du panier à mes pieds, taillée dans la forêt des damnées, dans un des arbres à proximité de notre petite maison. L'une des seules plantes dignes d'intérêt. Tout le reste, fleurs, arbres, ne faisaient que m'indifférer. Je nouais la tige feuillue autour du cercle central, rajustant les ovales verts des feuilles en une alternance parfaite, fredonnant du bout des lèvres :

Tisse, tisse le chemin ; prends gardes à ses...

« Bella !

Je relevai aussitôt la tête, croisant les prunelles blanches de mon amant qui venait de pénétrer dans la pièce et s'avançait vers moi. Mes traits se détendirent légèrement tandis que je le laissai approcher, une vague de chaleur m'envahissant presque aussitôt, gagnant mon cœur pour l'envelopper, gagnant mon ventre pour l'embraser.

Arrivé à mon niveau, il se saisit de ma paume que je lui tendis par automatisme et la porta à ses lèvres. Il y déposa un baiser léger, dissimulant derrière lui son rictus narquois alors qu'il soufflait :

— Je m'attendais à te trouver en train de semer la pagaille.

Il relâcha ma main. Je fronçai des sourcils face à ce contact trop bref, trop pur, trop chaste... Malgré ses promesses, depuis qu'il savait, il ne m'avait plus touché. Plus comme il le faisait avant. Le soir, alors qu'auparavant ses doigts brûlants s'amusaient à tracer sur mon corps ses poèmes de désirs défendus, il se tenait désormais loin, distant. Comme s'il craignait quelque chose. J'avais envie de hurler, de le bousculer, d'extirper de son cœur cette lâcheté qui nous mettait au supplice.

Au lieu de quoi, je me contentai de lui offrir un sourire carnassier, presque faux – qu'on n'aille pas me dire que je n'étais pas en contrôle de moi-même ! – et je rétorquai :

— Ne me tente pas.

Je tentai de maîtriser le tourbillon dévorant et aliéné en moi en tissant cette nouvelle couronne de laurier, ayant brisé l'ancienne du poète. Les feuilles fanées tombaient mollement dans ses mèches blondes et noires. Le geste répétitif, le parfum de la plante parvenaient tant bien que mal à réfréner cet élan qui me poussait à me lever et à aller causer le mal, quelque part à Regana, loin de tout ce qui pourrait m'en empêcher.

Loin de lui.

Il était véritablement ma seule ancre dans cet océan de folie.

Sans perdre le cap malgré ma pique et sa moue amusée, il s'enquit, me scrutant avec une attention intense, comme s'il cherchait à percer mon enveloppe charnelle pour accéder à ce qui se dissimulait derrière :

— Comment vas-tu ?

Je me détournai de lui, quittant son regard impénétrable pour me reconcentrer sur ma besogne.