Chapitre 24

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Le feu ondulait sous nos yeux, s'élevant vers le ciel dans un halo écarlate et doré. Il dansait, endiablé, fascinant. Sa chaleur irradiait, presque insoutenable, suffocante. Le crépitement des braises emplissait l'air de sa mélodie craquante. Je tendis ma main vers le brasier. Avant de la retirer prestement, poussant un juron.

« Cazzo !

Ma peau rougie me paraissait s'embraser et je devais l'avoir reculé de justesse pour ne pas avoir de cloques.

Ce bûcher me rappelait ceux du troisième cercle, dans lesquels les âmes damnées souffraient mille tourments, précipitées dans leurs châtiments à leur mort... De tous les supplices, le feu était l'un des pires. Mais les flammes du cercle des damnés ne me faisaient rien. Celles-ci en revanche... Celles-ci venaient percer ma chair pour aller enlacer mon âme par des langues de feu invisibles. Comme si la brûlure du bout de mes doigts se diffusait dans mon bras puis dans mon être entier, traversant les tissus. Mâchoire crispée, j'inspirai profondément, jugulant un spasme violent.

— Retour en enfer... grimaça Dante, préférant ne pas tenter l'expérience à son tour.

Sa main fraîche posée sur mon avant-bras représentait un véritable réconfort qui venait doucement envelopper mon être et empiétait sur la douleur enflammée. Je posais mes doigts sur les siens, profitant de sa fraîcheur.

Esquissant un rictus carnassier, j'ironisai dans un sifflement sardonique :

— Qui que soit la personne qui décide des règles de cet univers...

— ... Elle a un sacré humour, compléta le poète.

Un humour très sadique surtout. Nous ne percerions jamais les mystères de la création de Regana, du Purgatoire, des démons, des gardiens... il y avait des choses qui échappaient éternellement à la connaissance. Mais ça ne m'empêchait pas de ressentir une vive haine pour tout ceci.

J'enviais presque tous ces êtres qui n'avaient pas la foi, qui ne croyaient en rien. Pour eux, nul tourment en perspective. Nulle question sans fin. Seul le trépas, et l'après leur révélaient leur fatale erreur. Savoir c'était être condamné.

Mais parfois ne pas savoir était pire...

— Il y a forcément un moyen de passer, soupirai-je, les poings sur les hanches.

Sans avoir à traverser le brasier et souffrir mille tourments. Je n'étais même pas certaine que nous y survivions... Le poète hocha la tête, pensif.

— Aucun de contourner en tout cas... Les parois de la montagne nous en empêchent. Et il n'y avait pas d'autres chemins en sortant de la forêt que celui-ci pour atteindre le sommet.

Il marqua une pause. Avant de relever ses yeux vers moi, arborant une expression indéchiffrable.

— Quoi ?

— Tu devrais peut-être essayer de passer par-dessus...

Je me figeai, perplexe, sourcils froncés, avant d'éructer :

— Tu me demandes de... m'envoler ?

Cette perspective me perturbait. Je m'étais habituée à ce poids dans mon dos, à cette masse encombrante qui m'accompagnait au moindre mouvement. Finalement, c'était une part de moi, presque naturelle... Et je savais, consciemment, que d'une façon ou d'une autre, ces ailes étaient faites pour voler. Mais... Moi ? M'envoler ? C'était étrange. Trop étrange. Mon corps me semblait lourd, une statue de pierre, figé sur terre. Ancré à ses racines. Des racines tordues, enfouies profondément. Qui m'emprisonnaient à tout jamais.

Peut-être que cette idée était aussi curieuse au démon qu'à moi. Mais il haussa tout de même des épaules, dans une tentative d'humour.

— Tes ailes doivent bien servir à quelque chose.

Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant