Chapitre 12.

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Il faisait noir. Plus noir qu'au cœur de l'antre du mal.

Je ne savais pas par quel miracle nous parvenions à avancer dans ce long tunnel qui s'enfonçait toujours plus profondément dans les entrailles de la terre. Mais Carmine savait où il allait. Il n'avait besoin d'aucune lumière pour s'avancer dans ce terrier de lapin, et son pas résonnait, déterminé, sûr.

Je le suivais, à l'aveugle, mes mains appuyées contre la paroi de la galerie souterraine, la roche dure contre ma paume représentant le seul point d'ancrage à la réalité que je possédais. Je ne savais plus si nous étions en train de descendre ou de monter. Plus rien n'avait de sens. Seulement ces ténèbres et cette absence cruelle de repère.

Je ne savais plus non plus depuis combien de temps nous nous étions engouffrés dans cette voie. Carmine nous avait conduit jusqu'à ce passage, dissimulé dans les tréfonds des entrailles de son palais, dans des salles que je n'avais jamais explorées jusque-là – j'aurais juré y avoir vu un dragon ! mais impossible de savoir s'il s'agissait d'une simple illusion. Puis il s'y était engouffré et nous l'avions suivi. Sans lumière. Il avait prétendu que cette plongée vers la nuit était le seul moyen de parvenir de l'autre côté.

Quel était cet autre côté ? Je n'en savais rien. Alors je suivais.

Derrière moi, Dante faisait de même. Je sentais parfois son corps frôler le mien, sa présence m'envelopper, son parfum me gagner. Le savoir si près, si proche, avec moi... C'était la seule chose qui me poussait à avancer, à ne pas céder à cet ouragan qui faisait rage au creux de mon être. Car malgré tout cela, je sentais que l'équilibre de mon état n'était que fragile, prêt à se briser comme un miroir de verre. L'enfermement, l'étroitesse du lieu, le manque d'air ne faisaient qu'ajouter à ce fourmillement frénétique dans ma tête.

Nous marchâmes, encore et encore. Nous marchâmes, sans nous arrêter. Parfois, une roche saillante éraflait ma peau et la douleur éveillait mon corps ankylosé, pris dans une étrange torpeur. Les gestes étaient mécaniques. Mon esprit, lui, s'envolait. Il errait loin d'ici, prisonnier des souvenirs de ces derniers siècles tout en s'étendant vers cet avenir incertain qui se peignait, fébrile, sous mes yeux.

Je doutais. Terriblement. Et je ravalai mes doutes. Mais je n'étais pas la seule. Dante n'avait pas besoin de prononcer un mot. Je lisais dans la raideur de ses membres, dans son souffle saccadé, dans les jurons qu'il lâchait de temps à autre, son appréhension dévorante. Nous étions tous muets. Les ténèbres s'accompagnaient de silence.

Et nous avancions. Toujours plus loin.

Un courant d'air glacé se faufila soudain dans le tunnel, effleurant mes chevilles, s'engouffrant dans mes poumons. Mes pieds s'enfoncèrent dans quelque chose de plus mou, comme un tapis... Malgré l'aveuglement, je relevai la tête. Il faisait sombre, sombre comme la nuit. Sombre comme les ombres.

Et enfin, des étoiles...

Je frémis, un froid saisissant s'emparant de moi.

Les points argentés tachaient le ciel d'encre au-dessus de nos têtes, en myriade, en kyrielle, peignant la voûte céleste de leur éclat de nacre. Elles m'aveuglaient presque et pourtant, je ne pouvais détacher mon regard d'elles. Cela faisait... Huit siècles que je n'en avais pas vues. À Regana, il n'y avait ni étoiles, ni soleil. Seulement un astre rouge, immense boule ardente derrière le voile sanglant du ciel. Et encore, cela n'était que dans le troisième et le cinquième cercle. Le quatrième était toujours couvert de lourds nuages de sangs, le second d'une tempête de neige qui rendait tout blanc et le premier... D'une voûte obscure, de suie.

Cette faible lumière éclatée en dizaine de points au-dessus de nous était la preuve même que nous n'étions plus tout à fait en enfer.

L'air marin, chargée du parfum de sel, frais comme l'eau qui grondait à quelques mètres de là soulevait mes cheveux et je fermai les yeux, inspirant profondément. Nous étions sur une immense plage, apparaissant sombre sous la nuit. Et dans l'obscurité, au loin, se découpait la forme noire, imposante et massive, d'une montagne qui s'élevait si haut que je n'en apercevais pas le sommet.

Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant