Chapitre 27

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« Béatrice !

J'ignorais délibérément Dante qui tentait de marcher à mon allure tandis que je filais à toute vitesse, soulevant le bas de ma jupe pour gravir une pente couverte de gravier. Je voulais m'éloigner le plus possible de ce fleuve de malheur et de la tentation de faire demi-tour. Même notre demi-journée de marche depuis que nous l'avions traversé ne me suffisait pas. Je craignais trop que la douleur ne devienne insupportable et que je cède à l'idée de l'effacer pour de bon.

Assume tes choix, idiote !

— Béatrice, attends !

Par-dessus la montagne, le soleil commençait à décroître, glissant derrière le sommet que je ne quittai pas une seule seconde du regard, m'y accrochant comme une naufragée à un radeau. Je désespérai de l'atteindre tant il semblait inatteignable. Et derrière, le démon n'abandonnait pas.

— Si tu as décidé de ne pas effacer tout cela, alors, il faut que nous en parlions.

Il avait raison. Evidemment. Mais c'était encore trop difficile de l'admettre.

Boire le Léthé aurait revenu à amputer un membre gangréné. Parler, c'était plutôt traiter la plaie à vif, encore et encore. Je n'étais pas sûre que ce soit le moins douloureux...

Mais c'était ce qui à la fin nous permettrait de rester nous, entièrement nous...

Nous avions passé la dernière épreuve. La prochaine... La prochaine devait nous libérer.

Céder à la tentation du fruit...

Cette fois, la suite n'était pas difficile à deviner. Peu importe les mythes, il n'existait qu'un fruit capable de donner l'immortalité... ou de l'ôter.

J'arrivai à un endroit plus escarpé de la montagne. La paroi formait une palissade rocheuse qu'il fallait grimper. Des éboulis de part et d'autre empêchaient de contourner. Je retins un soupir d'agacement. Ce n'était pas le premier endroit de la sorte

Je glissai ma main dans un interstice et prenant appui sur une pierre, je me hissais, escaladant l'obstacle.

Cazzo !

Encore un plateau ! Bon sang, quand arriverons-nous enfin à ce sommet ? Il semblait se dérober à chaque fois. Après chaque montée plus abrupte derrière un amas de rochers, le chemin se prolongeait encore plus, les marches se mêlaient de nouveau à la terre et la ligne de crête ne paraissait pas se rapprocher, demeurant la même.

Une herbe tendre courrait sur le sol, tapissée de minuscules fleurs à peine écloses, blanches et parme. De temps à autre, quelques petits pins s'ancraient au sol rocailleux de leur racine. Et un étroit filet d'eau serpentait entre la mousse.

Je tiquai. Cet endroit était à mille lieux des enfers. À mille lieux également des paysages arides, cabossés et inhospitaliers que la Montagne nous avait offerts aux premiers abords.

Je me sentis soudain lasse. Lasse de tous ces contretemps, lasse de cette excursion, lasse de tout ceci... Cette fatigue était à la fois émotionnelle et physique et je la sentais refermer doucement ses griffes autour de mon cœur qui semblait lutter pour continuer à battre dans sa cage d'os, entre mes côtes.

Un poids y pesait, lourd, tirant sur mes muscles. Un instant, je fermai les yeux, passant une main sur mon front.

Tellement lassée...

Dante me rejoignit.

Alors qu'il s'attendait sûrement à ce que je reprenne ma marche endiablée pour le fuir, je fis volte-face, enfin décidée à le confronter.

Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant