Les nuits de Nina #7

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Une semaine a passé depuis que Lisa, ou peut-être devrais-je m'habituer à dire Ishtar, est venue ici. Vu la situation apparemment dangereuse dans laquelle je me trouve, j'ai accepté de ne pas quitter la maison mais il n'empêche que l'ambiance entre Ellie et moi est restée tendue.

J'ai quelques fois tenté de lui tirer les vers du nez mais il reste muet, je m'emporte et nous en revenons au même statu quo. Pour le moment, nous ne partageons plus que notre lit. Le premier soir après notre dispute, lorsque je suis allée me coucher dans une chambre d'ami, il est venu me chercher, m'a tout simplement soulevée du lit et ramenée vers notre chambre en décrétant :

- On peut être fâchés, Nina, mais il est hors de question que nous passions une nuit séparés quand nous pourrions être ensemble. Fais la gueule, mais dors avec moi.

Je dois avouer qu'il n'avait pas tort. Au fond, c'est le moment où, chaque nuit, je me rappelle que peu importe ce qui nous arrive, ma place est avec lui. Nous ne parlons pas, puisqu'il ne veut rien me dire et je me couche en lui tournant le dos, puisque je suis encore en colère, mais au milieu de la nuit, quand mes cauchemars me réveillent, je trouve toujours refuge auprès de lui, déposant mon animosité loin de nous, le temps d'un réconfort.

- Maître, où allez-vous ?

Elle est dans les bras de son amour. Il la porte comme une enfant.

- Va-t'en Jacob, répond-il à l'homme qui nous suit.

- Mais maître...

- Jacob, tonne mon aimé, rentre au château comme je te l'ai dit.

Le serviteur fait demi-tour, tête basse. Elle se sent mal, la tête lui tourne, elle gémit doucement.

- Ellie... souffle-t-elle.

- Mon ange, ça va aller, je suis là, ça va aller...

Sa voix profonde se brise et elle voit des larmes perler dans ses yeux d'or. Elle veut lever la main pour toucher ce visage qu'elle aime tant mais son bras est lourd et douloureux. Sa chair est brûlante. Elle a de la fièvre. L'instant est proche et elle a peur.

Il la porte le long du chemin où ils se sont promenés tant de fois puis il bifurque vers la prairie où elle aime cueillir des fleurs pour leur chambre. Les coquelicots ont envahi le champs, milliers de feux follets dansant dans le vent.

- Pose-moi, Ellie, je ne veux pas que tu souffres, murmure-t-elle.

Mais il avance encore vers l'arbre avec sa balancelle.

Il finit par l'allonger sur le sol, se couchant à son côté. Ses larmes ruissellent, silencieuses.

- Ne pleure pas, je t'en supplie, chuchote-t-elle dans le calme de l'après-midi, brisé seulement par les champs des oiseaux.

Il se tourne vers elle et caresse sa joue brûlante, sans cesser de pleurer.

- Je t'aime, Amelia, ne l'oublie pas, dit-il.

Elle tente de sourire mais la douleur déferle, l'avale tout entière. Un bruit affreux lui vrille les oreilles et elle réalise au milieu de ce mal dévorant que ce sont ses propres cris qu'elle entend. Ellie tente de la serrer contre lui mais elle refuse de le blesser et le repousse de ses mains qui se couvrent de cloques.

Puis le noir, absolu et vide.

Je me réveille, comme toujours, dans un sursaut moite accompagné d'un petit cri, bien plus faible que ceux entendus dans mon rêve. Ellie est aussitôt près de moi et me serre contre lui.

- Ça va ? me demande-t-il, préoccupé.

- Je... Tu étais dans mon rêve...

Il m'éloigne un peu de lui, scrutant mon visage dans la pénombre.

- Raconte, ça te fera du bien.

- Tu m'appelais Amélie, ou Amélia, je ne sais plus. Tu me portais dans un champs de fleurs et j'y brûlais.

- C'est tout ?

Il me caresse les cheveux avec douceur.

- Comment ça « c'est tout » ? C'est déjà pas mal, comme horreur, tu ne crois pas ?

- Oui, oui, bien entendu, corrige-t-il. Je veux dire que c'est tout ce que tu voyais ?

- Oui... oui, je crois.

Je suis un peu perdue, sonnée de l'avoir vu ainsi se mêler à mes cauchemars. Une idée me vient à l'esprit...

- Est-ce que... est-ce que je rêve des femmes que tu as connues ?

- Je crains que ce ne soit plus compliqué que ça, Nina. Mais tu...

- Oui, oui j'ai compris, j'en saurai plus quand je l'aurai découvert par moi-même, je grommelle en m'éloignant de lui, avant de lui tourner ostensiblement le dos, tapant rageusement mon oreiller.

Je le sens hésiter un instant avant de se rallonger, tendu. Son soupir est empreint de tristesse. Mais je n'ai pas envie de le rassurer ou de lui dire que je l'aime. Même si c'est le cas, je pense que ses secrets finiront par avoir raison de nous...

Les cendres de NînlìnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant