La fleur qui s'étiole en un jour

168 35 6
                                    

- T'emballe pas, Nina, ce n'est pas EXACTEMENT moi.

- Nom de... bordel... tu ES Shamash ! C'est ce que tu es ? Un putain de dieu ???

- Nina, calme-toi, bon sang, évidemment que je ne suis pas un dieu !

- Tu es Shamash ou tu n'es pas Shamash ? Réponds-moi maintenant !

Je crie et ma voix fait écho dans la pièce.

- Chhuuuuttttt, si on pouvait éviter que les autres descendent !

- CHUT que dalle ! je reprends en chuchotant avec une intonation étrange frôlant le cri murmuré. Ils n'entendent rien et tu le sais aussi bien que moi. Es-tu Shamash ? je répète entre mes dents.

- Nina, j'ai porté des tas et des tas de noms, tu dois bien t'en douter non ?

- Shamash était un de ces noms ?

- Oui, oui, bordel, c'était un de mes noms, ok ? On peut parler de ça plus tard ?

- Donc t'es un dieu. Nom de dieu, je me tape un dieu.

J'ai conscience que cette discussion devrait attendre mais avouons que ce n'est pas tous les jours que ce genre de truc me tombe sur le coin de la tête. C'est du délire. Du délire.

- Non, Nina, je ne suis pas un dieu. Les hommes m'ont vu comme tel, mais je ne suis pas un dieu.

- T'es quoi alors, putain ?

Il se tourne vers moi, manifestement agacé par mes questions.

- Mais j'en sais rien moi, merde. J'en sais rien, t'entends ? Vous avez des tas d'études sur ce que vous êtes, vous les humains, mais figure-toi que personne ne nous a réellement étudiés, nous, les immortels. C'est pas qu'on ait manqué de temps, mais ça ne nous a pas semblé être vital. Et voilà, autrefois, il s'est trouvé que certaines personnes nous ont pris pour ce que vous appelez des dieux. Mais les dieux n'existent pas Nina. Du moins pas à ma connaissance qui n'est quand même pas la moins qualifiée pour en juger.

Je marche dans l'eau de long en large, murmurant sans m'arrêter tous les jurons que je connais.

Ellie se rapproche de moi, tentant plus ou moins de me stopper.

- Nina, s'il te plait, est-ce qu'on peut s'occuper de la tablette ? S'il te plait. Je t'ai dit que je t'expliquerai tout ensuite.

- Ton soleil, sur le torse, pourquoi il n'a pas d'étoile ?

- Nina, on peut voir ça plus tard ? Je crois que l'eau monte.

Ellie regarde partout autour de nous et mon regard suit le sien avant de revenir sur ses jambes. L'eau est maintenant au milieu de ses cuisses, elle m'arrive maintenant quasiment aux fesses. Journée de merde, je pense. Je dois bien lui concéder ça : on a d'autres chats à fouetter que le fait que son existence réduise plus ou moins à néant ma thèse. Parce que forcément, mes belles théories risquent de s'effondrer si l'homme avec lequel je couche connaît mieux l'histoire que moi... L'eau glacée me ramène à l'endroit où nous sommes et je me reprends.

- Oui, t'as raison, grouillons-nous !

- Tu vois la tablette quelque part ?

Je regarde partout autour de moi. Il n'y a pas grand-chose en réalité ici, que ces grandes statues qui sont venues ici par je-ne-sais quel miracle. Je commence alors à en faire le tour et découvre, sertie dans le dos d'Ishtar, une tablette qui parait minuscule.

- Là ! Ellie, elle est là, je crie.

Elle est très haut et je cherche du regard comment grimper quand je vois Ellie escalader la pierre comme si elle n'était pas lisse. Il s'arrête à hauteur de la tablette, qu'il arrache de la statue d'un simple geste, avant de sauter à mes côtés dans un grand plouf. Je me rappelle qu'il faut que je ferme la bouche quand je le vois me regarder. L'eau m'arrive désormais à la taille et avancer devient plus difficile. Je sens même un petit courant et la montée est désormais visible à l'œil nu. Ellie glisse la tablette dans la ceinture de son pantalon et regarde l'eau continuer à monter d'un air contrarié.

J'aimerais vraiment une petite journée sans risque de noyade, ai-je le temps de penser, avant qu'Ellie m'attrape et me hisse sur son dos avant de fendre l'eau avec facilité et de nous hisser à l'abri hors de la pièce qu'il referme, récupérant au passage le camée représentant la famille et celui représentant une femme. Il les fourre dans sa poche avant de courir vers le tunnel.

- Tiens-toi bien, exige-t-il.

Il ne reprend pas l'élévateur pour remonter mais escalade la roche avec une facilité déconcertante, malgré mon poids sur son dos et mes bras qui l'étranglent probablement.

Il ne s'arrête qu'une fois que nous arrivons dans la première grotte, où il me pose sans grand ménagement.

Il sort alors la tablette et éclaire les lieux. Il respire fort les yeux fermés, comme s'il prenait son courage à deux mains avant de regarder la gravure entre ses mains. Puis il ouvre les yeux et l'observe.

- Nooooon, pitié, non, gémit-il d'un coup.

- Ce... ce n'est pas ce que tu voulais ?

Je ne comprends pas ce qui lui arrive mais je lis une immense déception sur son visage. Il glisse alors lentement vers le sol, à genoux, la tablette toujours entre les mains.

- Non, non, non, non, non, noooooon, répète-t-il.

Il suffoque puis lâche la tablette qui glisse au sol devant lui. Il se prend la tête entre les mains et s'effondre en pleurant comme un enfant. Je reste interdite devant ce spectacle qui me brise le cœur. Qu'est-ce qui peut faire pleurer un géant immortel de presque deux mètres, qui a déjà tout vu et tout traversé ?

Je m'approche de lui et m'agenouille à ses côtés, posant une main dans son dos, avant de tenter de l'attirer vers moi. Il semble ancré dans le sol et je n'arrive pas à le faire bouger. Je regarde alors la tablette et y vois du sumérien. Je déchiffre cette langue qui m'est devenue familière et je murmure ce que j'y lis et qui tient en une seule et unique phrase :

- Fou celui qui veut garder toujours la fleur qui s'étiole en un jour...

Quand je prononce ce vers, Ellie se tourne vers moi et je vois son regard fou de douleur. Il scrute mon visage, les yeux écarquillés. Il regarde mes yeux, ma bouche, mes cheveux, il me détaille avidement. Puis il me prend par la taille et me serre avec force, sa tête posée sur ma poitrine, des secousses de sanglots traversant son corps. Il me serre à m'étouffer, s'accrochant à mon corps comme un naufragé à un radeau en pleine tempête.

- Ça va aller, je lui répète avec douceur, caressant la soie de ses cheveux, le berçant comme s'il n'était pas... eh bien... un être différent de moi.

Il relève la tête vers moi, toute sa fragilité s'exprime dans ses yeux assombris.

- Je ne veux pas que tu t'éloignes de moi...

Sa voix est rauque, brisée.

- Je ne vais nulle part.

Je lui affirme ça en amenant mon visage à hauteur du sien, faisant comme une promesse.

Il me fixe un long moment, réprimant sa douleur évidente. Il se relève alors, s'appuyant sur moi, puis retrouve sa puissance naturelle en se redéployant de nouveau, droit et fier. Il prend une grande inspiration, sa mâchoire se contractant avec force, il plonge son beau regard dans le mien, semble observer un moment chaque détail de mon visage puis m'embrasse légèrement le front, dans un grand soupir semblant venir des tréfonds de son âme et m'emmène vers le retour à la surface, laissant là la tablette, désormais inutile.

Le retour se fait en silence, il reste plongé dans ses pensées. De temps en temps, je revois la peine le submerger et ses yeux se froncer douloureusement, puis il passe sa main dans ses cheveux ou se pince l'arête du nez, respire profondément et se calme de nouveau. Quoiqu'il arrive, je comprends à quel point sa recherche avait de l'importance pour lui, et me rappelant qu'il la cherche depuis des siècles, je réalise aussi qu'il va continuer à chercher.

- On la retrouvera, le rassuré-je, posant ma main sur sa cuisse.

Il tourne la tête vers moi et m'offre un sourire triste, avant de saisir ma main et de la porter à ses lèvres en fermant un instant les yeux. Nous rentrons à l'hôtel main dans la main, et c'est sans la moindre hésitation que nous nous dirigeons tous les deux vers ma chambre, qui semble être devenue la nôtre. 

Les cendres de NînlìnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant