Les Nuits de Nina #2

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Son corps est brinquebalé dans tous les sens. Elle ouvre les yeux, elle est dans une cariole tirée par un cheval. Ses mains sont attachées. Elle panique.

C'est encore un de ces satanés cauchemars, forcément.

Rester calme.

Elle entend des cris, innombrables et haineux. Elle ne comprend pas ce que les voix hurlent.

Elle ferme les yeux, tentant de se réveiller.

Quand elle les ouvre à nouveau, elle est debout face à la foule, attachée à un tronc.

Non, pas celui-là, pitié, pas ce rêve-là !

- Sorcière, sorcière, lui hurle la foule délirante...

Elle ne distingue aucun visage.

Elle connait la suite.

Elle sait que c'est inutile de crier et se débattre : ils la brûleront quand même.

Ce n'est qu'un cauchemar, elle va se réveiller dans son lit et tout ira bien.

La chaleur se répand à ses pieds et la douleur avec elle.

Elle hurle.

Elle hurle encore quand elle se réveille glacée.

- Nina, mais ça va pas non ? Lisa me secoue sans ménagement.

- Je...

Il me faut toujours un temps pour reprendre mes esprits.

- Tu hurlais comme une possédée, je te jure. Pas rassurante du tout... et c'est moi la coloc bizarre, rit-elle.

- Je suis désolée si je t'ai réveillée...

- Encore ces cauchemars ?

- Oui, il faut s'y faire, ça ne s'arrêtera jamais...

- Oh pas grave, je n'arrivais pas à dormir de toute façon. Tu veux un chocolat chaud ?

- Non... merci... oh et puis pourquoi pas ?

L'idée d'un chocolat rassurant me tente bien au final... Je me lève et accompagne Lisa dans la petite cuisine : mon environnement me permet de m'ancrer un peu plus dans le réel et d'éloigner de moi ce rêve que je connais pourtant par cœur.

J'ai consulté des tas de psychologues. Ma mère m'a traînée chez des hypnothérapeutes et des maîtres reiki et rien n'a fonctionné. J'ai cessé de lutter et simplement appris à vivre avec. C'est désagréable, sans plus. Mais le réalisme de chaque cauchemar est toujours envahissant. Il me faut souvent un peu de temps pour me remettre de l'émotion qu'ils suscitent en moi.

- Tu rêvais de quoi cette fois en fait ?

- Oh tu sais, toujours pareil. On me brûle ou je brûle. Ici, on me brûlait pour sorcellerie. La base quoi...

- Tu ne crois pas que ça peut être lié au décès de ta sœur ?

- Oh certains psys y ont pensé mais non. Je fais ces rêves depuis aussi longtemps que je me rappelle. Ma sœur n'a rien à voir avec ça...

Comme chaque fois, son évocation me serre le cœur. L'appel de ma mère ce jour-là reste sans aucun doute le pire moment de ma vie. Mourir à 22 ans renversée par un chauffard, c'est tellement, tellement con... Je sens déjà les larmes me monter aux yeux. C'est épuisant cette peine lancinante qui s'accroche au cœur, le prend et le tord à n'importe quel moment.

- Je préfère éviter d'en parler si ça ne t'embête pas. Ça reste douloureux.

- Pas de souci, dit Lisa, s'affairant autour de la gazinière.

- Tu as repris le boulot ?

- Mouais, répond-elle d'un air un peu maussade. Ce n'est clairement pas le job de mes rêves, mais ça paie le loyer... Ça t'embête si je ramène un Jules la semaine prochaine ? Un gars que j'ai rencontré pendant mon stage en Grèce me propose de venir.

- Oh, ce n'est pas un souci : je pense que je vais partir en mission. Je n'ai pas encore les infos mais ça ne tardera pas. Demain, j'en saurai plus.

- En mission de quoi ?

J'explique rapidement et très sommairement à Lisa ma journée, sans rentrer dans les détails puisque c'est confidentiel. Elle semble intéressée. Au fond, les gens sont surprenants. La voilà qui me pose plein de questions sur mon métier, comment on organise des fouilles, leur intérêt et utilité. Elle ne s'y est jamais vraiment intéressée jusqu'ici. Du coup, je m'emballe et lui explique tout un tas de trucs inutiles sur mes recherches.

- La vache, ça fait carrément Indiana Jones, ton truc ! conclut-elle, comme moi tout à l'heure.

- Haha, tu serais déçue : les fouilles sont souvent de très longs moments d'attente et de patience, où on a juste des brosses et des pinceaux pour seules armes. Ceci dit, je ne suis pas archéologue, pour ma part, je suis historienne. Mais il y aura des archéologues avec nous. Moi, j'étudierai plutôt tout ce qui est textuel. Pas du tout Indiana Jones, je te jure. Ou juste l'intro, quand il enseigne...

Elle pose un somptueux chocolat devant moi, avec une crème légère et mousseuse qui dessine un sourire.

- Waou, t'es douée !

- J'ai été barista un temps en Italie, on faisait peu de chocolats mais j'ai toujours préféré le chocolat moi...

- Ça doit être chouette : t'as eu mille vies !

Je découvre toujours plein de trucs sur elle, après trois ans de cohabitation. Comme la fois où je l'ai surprise en train de jouer du piano en mode virtuose dans un café du coin alors que j'ignorais totalement qu'elle pratiquait. C'est ça que j'aime chez Lisa, elle est enthousiaste et pourtant pleine de petits secrets fabuleux.

- Boh, disons que je fais ce qu'il faut pour survivre et que ça me permet de parcourir le monde. On a le même objectif, finalement : la découverte, conclut-elle.

On boit nos chocolats en silence, dans le calme revenu de la nuit puis je réalise ses propos sur le Grec et on passe une heure à rire et à faire des plans sur la comète à propos de cet Appolon dont on fouille attentivement tous les réseaux sociaux.

Et nous retournons chacune dans nos chambres, moi cogitant sur le fait que ça a de très chouettes côtés d'avoir une colocataire, surtout une ex barista, qui sait si souvent m'aider à panser mes plaies... 

Les cendres de NînlìnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant