Déesse et féminisme

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Nous quittons ma chambre et prenons l'ascenseur pour retrouver l'équipe qui nous attend, déjà attablée. L'ambiance est enthousiaste et les rires fusent. Des éclats de voix me parviennent, essentiellement en anglais. J'essaie de me reconnecter au moment et ne plus penser au tourbillon de sensations provoqué par les moments passés avec Ellie.

Berto évoque ses expéditions passées et est en pleine anecdote. Deux places nous attendent, l'une entre Natalia et Jules et l'autre, de l'autre côté de la grande table, entre Marcus et Géraldine, qui écarte la chaise de la table en faisant signe à Ellie qui ne semble avoir d'autre choix que de s'y poser.

Je prends donc place auprès de mes autres compagnons de voyage, un peu contrariée.

Mon ventre gargouille tant j'ai faim.

Ellie est presque devant moi et déplace un plat de petits pains vers moi avec un clin d'œil.

C'est avec reconnaissance que j'en attrape un et le dévore avant de me sentir vraiment mal.

- Ça va, ta chambre ? me demande Natalia.

- Oh oui oui, je réponds la bouche pleine.

- Je suis rassurée qu'on ait un peu de confort, les fouilles risquent d'être pénibles et retrouver une chambre fraîche ne nous fera pas de mal.

- Si ta chambre ne te va pas, nous interrompt Jules, la mienne est grande et mon lit est confortable, fait-il avec un clin d'œil.

- Tu es déjà venue dans ce coin ? dis-je en me tournant ostensiblement vers Natalia.

Elle comprend immédiatement la lourdeur de mon voisin de table et entreprend de me raconter ses missions précédentes. Elle n'est jamais venue dans ce coin précis mais ses travaux sur les civilisations Scythe et Parthes l'ont menée pas très loin, puisqu'ils ont étendu leur expansion jusqu'ici. Elle me raconte des anecdotes captivantes sur ses voyages en Sibérie, sur les traces de tombeaux sortis des eaux en période de sécheresse. Elle m'interroge ensuite sur mes propres recherches et le mythe qui me fascine et sur lequel je travaille depuis 2 ans maintenant, celui d'Ishtar, déesse mésopotamienne.

- Ce qui me fascine, j'explique avec énergie, c'est que c'est la première divinité connue sur laquelle nous avons des traces écrites. On en a énormément, mais aucune n'est complète ou suffisamment claire pour comprendre son rôle dans son intégralité. C'est aussi une des premières divinités féminines qui agit en tant que féministe, selon moi. L'histoire de Gilgamesh le prouve : elle en tombe amoureuse, tente de le séduire, est rejetée et entreprend de le punir. C'est un comportement que, par la suite, on a plutôt attribué aux hommes. Or on sent que, pour l'époque, cette femme était une combattante fière et vindicative.

- Oui, enfin, on ne peut pas dire qu'elle est présentée comme une brave héroïne dans le mythe de sa descente aux Enfers. Elle choisit quand même de son plein gré de condamner son époux à un sort terrible quand il doit la remplacer aux Enfers, reprend Natalia...

- C'est ce que je me tue à dire à Nina, rit Berto : elle tient à faire d'Ishtar un modèle, une héroïne alors que bon sang, elle n'a pas que des actes de bravoures à son actif.

- Je ne tiens pas à en faire une héroïne, vous le savez bien ! Je veux prouver que les Akkadiens avaient offert une place puissante à la femme, du moins à cette déesse.

- Puissante, sans aucun doute, tranche Ellie. Brave, courageuse ou héroïque, c'est autre chose.

Sa mine sombre me surprend. Je vois ses mâchoires contractées sur un rictus pour le moins sévère. Je n'ai pas le temps d'y réfléchir que nos plats arrivent : je salive en voyant plein de petites assiettes !

Les cendres de NînlìnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant