Les cendres de Nînlìn

Les nuits de Nina #6

Mes recherches n'ayant abouti à rien et ne voyant aucun sujet de thèse pointer à l'horizon, je finis par décider de passer voir ma mère. J'emprunte d'autorité la petite deux chevaux qui m'attend sagement, je sais qu'Ellie la laisse dans la cour à mon intention.

Nous n'avons pas d'atomes crochus, ma génitrice et moi, mais j'essaie souvent de me rappeler qu'elle est la seule famille qui me reste avec mon père, qui vit désormais aux USA avec sa nouvelle jeune épouse.

Je me retrouve assise à la table de sa confortable salle à manger, un thé devant moi, pour réaliser assez rapidement que nous n'avons rien à nous dire. Je cherche un sujet de conversation et mon esprit s'accroche à Lisa, notre seule connaissance commune, puisque c'est en réalité ma mère qui me l'a présentée autrefois. Elles s'étaient rencontrées dans un cours de Pilates, si ma mémoire ne me fait pas défaut. J'interroge ma mère afin de savoir si elle a plus de nouvelles que moi.

- Eh bien, la dernière fois que je l'ai vue, c'était chez toi, lorsque je suis venue t'apporter ton cadeau d'anniversaire. Mais je n'ai plus de nouvelles depuis ce jour-là. Tu l'as revue, toi ?

- Non... mais je suis sûre qu'elle va bien. Elle a sans doute suivi un Jules... Elle a une vie assez dissolue.

Je mens clairement parce que plus le temps passe et plus je m'inquiète pour elle. Ellie a beau dire qu'Ishtar ne s'en prendrait pas à elle, allez savoir. J'en suis moins sûre, moi.

La sensation ne me quitte pas durant l'heure de ma visite, qui me paraît absolument interminable. Je me suis mise en pause, comme je sais le faire : là de corps mais pas d'esprit. Le caquètement du discours de ma mère me parvient en bruit de fond, je le perçois juste assez pour comprendre quand répondre, à peu près sur le bon ton. Pendant ce temps, je divague intérieurement, flottant entre des considérations noires à propos de Lisa et Berto et des considérations purement romantiques concernant Ellie...

Je décide d'écourter cette pénible visite et décolle rapidement avant que le trafic de fin de journée ne m'avale.

Sur le trajet de retour, je décide de repasser un coup de fil à Lisa et miracle, elle décroche.

- Ma biiiiiiche ! hurle-t-elle. Comment tu vaaas ?

- Bah, c'est à toi que je pose la question, tu réponds à peine à mes messages..

- Oh je sais, je fais une lamentable amie, pardon, pardon. En plein chagrin, en plus. Tu peux me pardonner ?

Je souris, c'est du Lisa tout craché. Elle fait ses trucs, disparaît, revient et efface tout, du jour au lendemain.

- Évidemment que je te pardonne, si tu me racontes ce que tu as fait pendant tout ce temps et qui est ce mystérieux charmeur qui t'a emportée en voyage !

- Oh, ce n'est pas très important, tu me connais...

Ça aussi, c'est du Lisa. Je ne verrai jamais cet homme alors qu'elle vient de passer plusieurs mois avec lui. Si ça se trouve, elle l'a déjà remplacé.

- Et toi, toujours amoureuse de ton milliardaire ? me demande-t-elle.

- Oui, affirmé-je, toujours. Tu es rentrée à l'appartement ?

J'espérais secrètement qu'elle aurait emménagé avec son chéri. L'idée de la savoir rentrée dans ce lieu où je n'ose plus retourner ne me rassure pas.

- Noooooon, figure-toi que, comme tu n'y étais plus, j'ai décidé de squatter quelques temps dans un repaire d'artistes vers Montmartre.

Je lève les yeux au ciel. Cette décision me rassure, mais je trouve tout de même ça irresponsable de sa part. Je continue de payer le loyer de l'appartement et, en effet, j'ai constaté qu'elle ne me verse plus sa part depuis quelques temps. Cela dit, l'université continue de payer ma thèse, au vu des circonstances, mais je sais que ça ne durera pas. Je ne lui en parle pas, j'ai reçu une coquette somme de la part de la société d'Ellie pour notre voyage et je ne suis pas encore confrontée à de réels problèmes d'argent. Je soupçonne Ellie d'avoir gonflé la somme, mais je n'ai pas trouvé la force d'en discuter avec lui. Il va pourtant falloir que je m'occupe de tout ça.