Le fond de l'abîme

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Après un petit déjeuner rapide où je me tiens loin d'Ellie malgré mon envie de l'approcher encore, nous embarquons tous dans d'énormes jeeps garées devant l'hôtel. J'ai enfilé un pantalon et une chemise beiges fluides pour me prémunir du soleil : ma peau très blanche le supporte mal. J'ai pensé aussi à prendre une casquette histoire d'éviter une insolation. Je ne sais pas trop à quoi m'attendre mais le chantier des fouilles est situé en plein désert à 45 kilomètres au sud de la ville.

Il fait déjà très chaud et Berto, qui est monté dans le même véhicule que moi, semble déjà souffrir. Il est rouge et passe son temps à s'essuyer le visage avec un grand mouchoir.

Ellie arrive le dernier, beau comme un dieu dans son pantalon cargo kaki et sa chemise blanche. Au contraire de mon directeur de thèse, la chaleur ne paraît pas avoir le moindre effet sur lui.

Il grimpe sur le siège passager de ma jeep et le cortège se met en route.

Si le début du voyage est raisonnablement tranquille, une fois hors de la ville, les véhicules cahotent sur un désert de pierres plein de trous et de bosses. On croise une zone encadrée par l'armée.

Ellie suit mon regard et m'explique :

- C'est là qu'on a retrouvé un charnier du groupe État Islamique...

- Mon Dieu, dis-je, c'est abominable.

- Dieu n'y est pour rien, répond-il sombrement. Les hommes n'ont jamais eu besoin de dieux pour s'entretuer, même s'ils s'en servent comme excuse.

Mon regard se perd sur l'immense délimitation faite de rubans de plastique rouge et blanc. Ellie reprend :

- L'Irak est l'un des pays comptant le plus de personnes disparues. Il y a des charniers comme ça sur tout le territoire. Plus de 500 victimes ont été exécutées ici. Le travail d'identification est très long et très compliqué, en plus d'être couteux. Mais c'est un mal nécessaire pour apaiser les familles en deuil...

Un frisson me parcourt l'échine. J'ai eu la chance, si l'on peut dire, de pouvoir dire adieu à ma sœur. Ses funérailles figurent parmi les moments les plus atroces des jours qui ont suivi son accident. Ce n'était pas facile mais ça m'a permis d'accepter, au moins un peu, le fait qu'elle n'était plus là. Voir son cercueil blanc descendre dans le trou creusé dans la terre était la fin d'une relation merveilleuse et douce. Avec lui descendait dans l'oubli le sourire innocent de Lou avec ses blagues idiotes et sa fougue innée. Une boule se forme dans ma gorge. Je dois penser à autre chose avant que les larmes ne me submergent.

Je m'absorbe dans la contemplation du paysage désertique qui s'étend à perte de vue. Le son du moteur me berce un peu et je sens mes yeux qui se ferment mais je vois au loin un ensemble de tentes et de chapiteaux blancs qui se dressent au milieu de l'étendue de sable et de pierre.

Mon cœur bat la chamade : je vais enfin voir de vraies fouilles ! Ma fatigue disparaît instantanément et je me redresse, regardant le campement s'approcher de nous. Je vois un grand chapiteau entouré de plusieurs autres tentes de diverses tailles.

Notre convoi s'arrête à quelques mètres de la première tente et nous descendons. Ellie m'explique qu'une équipe est basée ici et vit dans les tentes, relayée tous les cinq jours par une autre équipe, celle qui est actuellement à l'hôtel. Quant à nous, nous travaillerons quotidiennement ici mais rentrerons toutes les nuits à l'hôtel. Si besoin, et si les pièces peuvent voyager, nous pourrons les emporter à l'hôtel pour les étudier.

Marcus est rouge vif lui aussi quand il nous rejoint et la sueur dégouline le long de son front qu'il tamponne, comme Berto, à l'aide d'un grand mouchoir blanc déjà plus très frais. Natalia, Etienne et Anton sautent de leur véhicule avec un enthousiasme évident. Anton est étonnamment fringant pour un homme de son âge. Il marche d'un pas alerte et son œil me semble bien plus vif que lors de notre première rencontre où je l'avais pris pour un vieillard fragile.

Les cendres de NînlìnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant