Gin Tonic

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- Parce que tu ne peux pas toujours passer ta vie enfermée dans tes bouquins sans en sortir, voilà tout, Nina. On vit à Paris, Nina. PARIS ! Cette putain de ville Lumière. Et toi tu voudrais rester enfermée H24 pour ETUDIER ?

Par chance, j'arrive à capter la dernière phrase de Lisa au vol alors que ça fait dix minutes que mon esprit a décroché et que j'observe le lierre qui grimpe le long de la façade de notre petite terrasse.

- Non mais je le sais, ça. Je compte bien faire autre chose de ma vie, c'est évident, je murmure dans un souffle.

- Alors tu acceptes ? se réjouit-elle.

- Euh oui, oui, oui, bien entendu.

Je n'ai absolument aucune idée de ce que j'accepte, mais de toute évidence, j'accepte.

- Maseltov ! s'écrie ma coloc, lançant derrière elle avec bonne humeur le verre qu'elle vient de terminer, partant dans un grand éclat de rire quand elle l'entend s'écraser sur notre petit balcon.

Lisa, c'est un peu mon opposé : une grande blonde typique d'Instagram. Elle a l'air de sortir tout droit d'un magazine de mode.

Elle se lève - je devrais plutôt dire qu'elle se déploie, vu la longueur interminable de ses jambes bronzées – et me tends une main manucurée au regard de laquelle mes ongles nus et courts me font bien un peu honte.

- Tu as dit oui, c'est trop tard, ma vieille !

- Mais j'ai dit oui à quoi ?

- Va mettre une jolie robe, ne discute pas !

Attendez une minute... une jolie quoi ? Je regarde Lisa avec des yeux ronds pendant qu'elle sort le peu de vêtements que je possède, en quête d'une tenue qui lui convient.

- Non mais comment veux-tu séduire avec une garde-robe pareille !

- Lisa, sérieusement, on va où ?

- En boite, Chérie, on va en boîte. Tu n'es pas sortie de cet appartement pour autre chose que ta thèse depuis au moins un mois. Ça ne va pas du tout.

Je grommelle pendant que Lisa me fourre dans les bras ma seule robe noire avant de regarder mes chaussures, quasi uniquement des Converse.

- Tu fais bien du 38 ?

J'acquiesce pendant qu'elle file hors de ma chambre avant de revenir comme une tornade avec des bottes noires bien trop élégantes pour me convenir.

Comment je me suis retrouvée avec cette coloc pour le moins aux antipodes de ma personnalité ? Aucune idée. Elle est comme ça, Lisa. Elle déboule dans la vie des gens et prend ses aises. Au début, je devais juste la dépanner quelques semaines, je ne sais même plus comment ça s'est produit. C'était il y a trois ans. Depuis, elle me squatte. Parfois elle disparaît pendant deux mois, deux jours ou deux semaines, puis elle revient la fleur au fusil.

Quand je lui ai dit que je faisais un doctorat en histoire et science des religions, elle a ri, en me disant qu'en effet, j'avais l'air d'une bonne sœur.

Mon esprit s'évade de nouveau vers un autre temps pendant que j'enfile docilement tout ce qu'elle me tend et me voilà donc à trottiner à ses côtés dans la rue – c'est fou la taille de ses jambes – pendant qu'elle m'explique des tas de détails sur la soirée où l'on va, les avantages du thé macha et du stretching et j'en passe : j'ai arrêté d'écouter il y a au moins dix minutes.

- Mais t'as vraiment rien à raconter, toi ? s'interroge-t-elle enfin.

Que voulez-vous que je lui dise ? Je suis en plein dans la rédaction de ma thèse de doctorat sur le mythe akkadien d'Ishtar. J'ai peu d'autres intérêts ces derniers mois. Vous pensez sincèrement que ça va l'intéresser ? Je mets même ma main au feu que ça ne vous dit rien, là, de suite. Juste ? Merci. Mon directeur de thèse me met une pression de dingue et je suis au point mort.

Les cendres de NînlìnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant