Je rentre dans l'immense bâtiment qui fait de moi ce que je suis aux yeux du monde, aujourd'hui. Monsieur Abramovicz. Si l'homme a toujours vénéré la fortune, cette ère-ci en a fait la seule valeur, portée au-dessus de toute autre.
J'abhorre ce siècle et je l'adore à la fois. Trop de bruit, trop d'agitation, trop d'absolue nécessité d'avoir plus, trop d'individualisme forcené. Mais que d'inventions fabuleuses ! Internet, quelle magie. Je me demande parfois si ce n'est pas là une magie bien supérieure à celle que nous avons connue autrefois et dont la connaissance s'est perdue dans les volutes du temps qui court. Internet qui m'a permis de trouver Ninlin tellement plus vite, tellement mieux, de mieux en mieux, de la suivre, la regarder évoluer quand elle partage des fragments de sa vie sur ces fameux réseaux qui, en dehors de ce cadeau, m'horrifient.
Ma Ninlin, si courageuse, si belle et si forte. Mon cœur bat la chamade rien qu'à l'idée de la revoir demain.
Tout est parfaitement en place et je crois avoir fait au mieux pour qu'elle puisse découvrir seule ce que nous sommes. Ses études nous auront cette fois tellement facilité la tâche que j'ai espoir que cela nous aidera à mettre la main sur cette putain de tablette. Penser qu'une erreur ou un geste trop brusque de ma part pourrait la faire fuir me fait faire des cauchemars abominables parfois. Pas trop vite, pas trop intensément.
Comment résister à l'envie de la serrer dans mes bras quand on sait que cela fait 26 ans que je ne l'ai plus vue ? Dans l'ascenseur, je me surprends à jouer les coquets et je ris avec joie : cela fait 26 ans que je ne me suis plus regardé pour personne. Mais là, j'estime que ça va, en somme, je n'ai pas changé d'un pouce si ce n'est, comme toujours, mes cheveux que j'adapte avec les époques. Je les ai laissés pousser, un peu. Je sais qu'elle les aime longs, qu'elle aime passer ses mains dedans lorsqu'elle m'embrasse. La température de mon corps monte de quelques degrés rien qu'à cette évocation. Demain je la revois. Demain... Pas de baiser, bien entendu. Ou peut-être que si, tout dépend ce qu'elle se rappelle de moi, de nous.
Arrivé à mon étage, un choc me heurte : je sens sa présence. Oh je la sens toujours raisonnablement proche puisque je veille à rester dans sa ville où je sens qu'elle va bien. Mais là, c'est différent. Elle est ici. J'en suis certain. La panique me gagne. Ce n'est pas normal : notre rendez-vous a lieu demain. Demain, j'en suis certain, j'attends cette date depuis plusieurs mois et tout a été préparé en fonction ! Je suis cette intuition folle qui m'a guidée toute ma vie, attiré par elle comme un papillon par la lumière.
Je traverse mes couloirs à toute vitesse, heurtant des employés auprès desquels je prends à peine le temps de m'excuser tant l'angoisse et la joie à la fois m'étreignent. Mon instinct me guide dans mon propre bureau. Bon dieu mais que fout-elle là ????
Je survole la pièce des yeux mais elle n'est pas là. Elle est dans la salle de bain. Bordel, c'est complètement anormal ! J'ouvre la porte d'un geste brusque et la voilà qui tombe littéralement à mes genoux, renversant ce qui ressemble à des verres de cocas ! Mon cerveau s'agite, tentant de comprendre comment cette brillante historienne se retrouve dans mes WC avec des verres de coca... Je suis abasourdi et ému à la fois, mais j'ai le temps de me redonner une contenance avant qu'elle ne lève les yeux vers moi en se relevant lentement, tiraillant sur une jupe qui n'est manifestement pas à elle. Stoïque, Ellie, sois stoïque.
Une fois debout, elle s'apprête à parler quand le bouton de ce chemisier ridicule saute.
Mes yeux tombent immédiatement vers ces seins que je connais par cœur et je fais un effort surhumain pour ne pas montrer mon trouble.
- Je suis désolée, je me suis perdue et j'avais vraiment besoin de faire pipi...
Intérieurement, je suis mort de rire. C'est tellement elle... ces mots qui franchissent sa bouche avant même qu'elle ne les ait réfléchis... Je tente de rester impassible mais la regarder se trémousser pour tenir son haut comme si je ne connaissais pas déjà par cœur chaque ligne de son corps, c'est irrésistible.
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Les cendres de Nînlìn
خيال (فانتازيا)« Fou celui qui veut garder toujours la fleur qui s'étiole en un jour »... Depuis toujours, Nina fait des cauchemars. Elle brûle sous les yeux d'un homme. Ça ne l'empêche pas de vivre sa vie de doctorante et de mener à bien sa seconde thèse en hist...