Des secrets

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Trois mois ont passé depuis la disparition de mon vieux mentor.

J'ai mis quelques jours à digérer l'information... Puis nous avons assisté aux funérailles de Berto, dont le corps a été rapatrié pour qu'il soit inhumé auprès de son épouse, décédée il y a déjà quelques années. Tout le monde était là, dont Natalia, qui était dans la nacelle quand il est tombé. Un banal accident semble-t-il. Il s'est penché sans avoir pris soin de se sécuriser et Natalia n'a pas pu le retenir. Ellie s'est répandu en excuses, endossant la responsabilité d'un chantier mal sécurisé mais Natalia a affirmé avec vigueur que Berto avait manqué de prudence et n'avait respecté aucune des consignes de sécurité pourtant répétées à maintes reprises.

J'ai l'habitude du deuil et au fond, celui-ci est bien moins douloureux que celui que j'ai dû traverser pour Lou. Ce deuil-là, je l'ai passé à errer dans une sorte de brouillard glacé, le corps et le cœur vidés de toute substance. Et je sais que même de ça, on se relève. Quelque part, ça rend la peine moins intense, comme si les plaies qu'on subit se posaient comme des couches sur nos âmes, les rendant de moins en moins accessibles.

Mais ce deuil m'a aussi ramenée à cette perte-là, celle de Lou, comme si la plaie s'était rouverte au contact d'un air vicié.

Et j'ai perdu beaucoup de choses au contact d'Ellie... Je corrige immédiatement cette pensée : j'ai perdu beaucoup de choses en rencontrant Ellie. D'abord ma passion et mon activité principale ont perdu tout leur sens. Puis le pilier de ma vie professionnelle disparait.

Mais ça va. Je me suis remise doucement.

Je n'ai aucune nouvelle de ma famille, mais sachant que nous n'avons aucun point commun, ça ne me manque pas. Lisa est partie en voyage avec je ne sais quel mec de rencontre et je n'ai que des nouvelles sporadiques, ce qui n'est pas plus étonnant car elle a déjà pris le large plusieurs fois depuis qu'on se connaît, et toujours pour des hommes et puis... eh bien elle n'avait pas tort, à force de passer ma vie dans mes livres, je n'ai pas d'autre ami sur qui compter.

J'observe le jardin par la fenêtre. Il fait un temps magnifique avec la fin de l'été. J'aperçois Jacques, le fidèle maître d'hôtel, débattre avec le jardinier d'une question sans doute épineuse puisqu'il agite les bras dans tous les sens. Je ne suis pas beaucoup sortie, ces derniers temps. J'ai vécu de pichets d'orangeade et de cookies maison déposés avec une discrétion hors pair par Jacques quand je ne regardais pas.

Je suis perdue, je ne sais plus que faire de ma vie. Je sens qu'Ellie aimerait que je l'aide dans sa quête mais il la mène pour le moment sans moi, passant du temps dans son bureau ou en rendez-vous.

Deux bras m'entourent alors, comblant ce vide immense au fond de moi. Je laisse aller ma tête contre le torse d'Ellie, qui me berce lentement, glissant son nez dans mon cou.

Il est d'une patience infinie avec moi. Il m'a serrée des heures pendant que je sanglotais, il m'a veillée pendant mes nuits cauchemardesques où Berto et ma sœur revenaient à tour de rôle, entre les nuits peuplées de feu, il n'a parlé que quand il fallait, s'est tu quand j'en avais besoin, m'a fait rire quand j'en avais le courage, s'est éclipsé quand la solitude m'était nécessaire...

- Je t'aime, dis-je dans un soupir.

- Alors si tu m'aimes, tu vas m'accompagner dehors un peu, oui ?

Je hoche la tête. Il a raison, il est temps. Je dois reprendre le cours de ma vie et lui donner un sens, quel qu'il soit.

Nous passons la journée dans ce jardin magnifique. Les allées sentent la lavande et un énorme lilas blanc croule sous les fleurs. Je regarde Ellie et je sais qu'il comprend. Il sourit.

Les cendres de NînlìnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant