17. Obsessionnel.

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Elias.

Assis sur une chaise, j'observe son ventre se gonfler et se dégonfler au rythme de ses respirations. Les coudes posés sur les genoux, mes doigts font tourner mon briquet zippo entre eux.

Elle m'a sauvé la vie. Elle aurait pu continuer sa route comme je lui avais demandé, comme les autres lui avaient ordonné. Elle n'a pas écouté. Elle m'a sauvé la vie, elle.

Je n'arrive pas à la comprendre. La plupart aurait appuyé sur la gâchette eux-même pour m'exterminer. La plupart ont déjà essayé. Je ne connais que ça. Je ne connais que violence, que vengeance. Je suis un monstre, je fais couler le sang, je tue.

Alors je ne comprends pas comment quelqu'un comme elle peut avoir autant de courage pour venir me sauver, mettant sa propre vie en danger. Son cœur est-il si pur qu'elle préfère sauver son ravisseur plutôt que de s'échapper ?

Un cœur bien trop doux pour ce monde. Je hais ça.

Je la hais. Je déteste la voir. Je déteste son visage, ses yeux verts remplis de tristesse. Je déteste son corps ridiculement fragile qui ne la protège pas. Je déteste savoir que celui-ci possède une cicatrice prouvant son acte naïf.

Elle n'aurait pas dû faire ça. Pourquoi a-t-elle fait ça ? C'était idiot, complétement stupide et bien trop dangereux. Elle aurait pu mourir et il ne me l'aurait jamais pardonné.

Pourquoi a-t-elle risqué sa vie pour moi ?

Pourquoi ses yeux remplis de tristesse me donne envie d'apprendre pourquoi ?

Pourquoi son corps ridicule me donne soudainement envie de la protéger contre mon monde ?

Et merde, j'ai une dette envers elle. Une dette et tellement plus de questions. Depuis que son nom a été murmuré à mon oreille, je n'ai que des questions. Seulement des questions et aucune réponse. Ça en devient complètement obsessionnel.

Je veux savoir. Je sais toujours tout mais avec elle, je ne sais jamais rien.

La porte s'ouvre et mes doigts s'immobilisent. Je lève la tête et mes yeux tombent sur ceux de Matteo. Il s'avance et son regard se pose sur Pandora.

— Comment elle va ? demande-t-il.

Je soupire et range mon briquet dans ma poche.

— Elle va s'en sortir.

Matteo hoche la tête, rassuré. Je ne comprends pas pourquoi il semble toujours vouloir sa sécurité depuis le premier jour. Il la défend comme si elle était une enfant perdue et que j'étais le monstre qui attendait le bon moment pour la détruire. Peut-être que c'est le cas. Peut-être que j'ai voulu la tuer, la faire souffrir pour être entrée dans la vie de mon frère. Peut-être parce qu'au fond de moi, je sais qu'elle y est pour quelque chose. Que c'est en entrant dans sa vie, qu'il a perdu la sienne.

— Elle t'a sauvé la vie...

Un nouveau soupir quitte mes lèvres. Je le sais.

— C'est une énième preuve qu'elle n'appartient pas à ce monde, Elias. Laisse-la par-

— Non, le coupé-je froidement. Elle pourrait m'offrir ses poumons, son coeur ou même sa vie, jamais je ne la laisserai partir. Il est trop tard.

Les sourcils de Matteo se froncent et me font comprendre son opposition.

— Pourquoi ce serait trop tard ? demande-t-il.

— Parce que celui qui vient de nous attaquer la connaît. Il la veut et apparemment il l'attend.

Il ne répond pas alors que j'observe son visage endormi. Ses cheveux bruns sont éparpillés autour de sa tête, ses paupières fermées, mais ses sourcils froncés. Elle ne rêve pas, elle fait des cauchemars. Alba m'en a parlé vaguement, elle ne voulait pas entrer dans les détails, m'agaçant légèrement.

Les cauchemars, je ne connais que ça. Je ne me rappelle pas avoir rêvé depuis le jour où mon père m'a mis une arme dans la main.

— Qui est-elle vraiment ? murmure-t-il. Comment une femme aussi innocente qu'elle peut être aussi proche de l'obscurité de notre monde ?

Je ne réponds pas parce que je n'en ai pas la réponse. J'en ai plus qu'assez de toutes ses questions qui tournent autour d'elle. Je ne vais plus lui laisser le choix, de gré ou de force, j'obtiendrai des réponses.

Je me lève enfin de cette chaise.

— Tu devrais aller dormir, mon frère, déclare Matteo.

Je soupire et passe à côté de lui sans lui lancer un regard.

—Tente d'appliquer tes propres conseils avant de venir me les dicter, Matteo.

Je sors de cette pièce mais à peine la porte fermée que l'envie d'y entrer à nouveau me prend. Son visage endormi me revient en tête et je lutte contre l'envie de retourner sur cette chaise. Je lutte contre le besoin de la surveiller. Je lutte contre cette obsession qui grandit en moi.

Alors, je me contraint à avancer jusqu'à ma nouvelle chambre, m'efforçant de faire passer le goût amer de la défaite. Parce qu'aujourd'hui j'ai perdu. Ma maison est en cendres alors je me promets de faire brûler le coupable.

Des hommes sont morts. Ils avaient tous placé leur confiance en moi et ils sont morts à cause de cette erreur. Anthonio ainsi qu'une trentaine d'autres noms me viennent en mémoire.

Je ne suis pas encore assez fort. Dans ma tête, la voix de mon père me hurle ma faiblesse. Je n'ai pas le droit d'être faible, je n'ai pas le droit à l'erreur. Des vies sont entre mes mains et aujourd'hui j'ai failli à mon devoir de les protéger.

Dans ma chambre, je déboutonne ma chemise et me dirige vers le placard. J'attrape les premiers vêtements que je vois et file sous la douche rapidement. Je ne peux plus voir mes mains tachées du sang de Pandora. Elles me rappellent bien trop que le sang qu'elle a perdu est la conséquence de son acte.

"Si je ne l'avais pas fait, c'est toi qui serais sur ce lit et sûrement dans un pire état."

Je ne sais même pas si j'aurais atteint ce lit. 


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Chrysanthème Noir | T.1 & T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant