Chapitre 1 ( Partie 1) : Camden - New Jersey

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L'aube pointe tout juste le bout de son nez, colorant le loft d'Amor d'une teinte orangé. Les voilages blancs que j'ai fait installer sur les baies vitrées, qui surplombent le parc Farnham, virevoltent au grès de la brise qui passe par la fenêtre entrouverte. Il est encore tôt, pourtant j'entends l'agitation des premiers commerçants ouvrant le rideau de leurs boutiques aux camions de livraisons.

Assise au comptoir de la cuisine ouverte, je sirote ma tasse de thé. Hier soir, Amor est rentré tard. La dernière chose qu'il avait à régler s'est éternisé si longtemps que la lune était déjà bien haute dans le ciel lorsque j'ai entendu la porte de l'appartement s'ouvrir. En se glissant dans les draps, l'odeur de transpiration mêlée à celle du sang fraichement écoulée a imprégné la pièce et j'ai dû enfoncer ma tête dans l'oreiller pour tenter de sentir les effluves de la lessive.

Je sais qu'Amor déteste se salir les mains. Il envoie toujours l'un de ses gars faire le sale boulot. Pourtant, lorsqu'il se rend à l'Atelier il ne peut s'empêcher de participer aux réjouissances –comme il s'amuse à appeler les séances de tortures qu'il organise. Sa véritable nature ressurgit alors et il prend un malin plaisir à faire crier ses prisonniers. Ce n'est pas pour rien qu'il est craint dans toute la ville et pas que ! Sa réputation le précède où qu'il aille. Parce qu'Amor est un musicien. Il fait chanter les plus belles partitions aux traitres qui croisent sa route offrant des concerts d'une rare beauté à la hauteur de son arrogance. Car oui, Amor ne craint personne. Il pense que le monde est à ses pieds. C'est un artiste incompris et c'est pour cette raison que tout le monde a peur de lui.

Tout le monde, excepté moi.

Parce que j'ai su me glisser au plus proche de sa nature, que j'ai vu de mes propres yeux, l'étendue de sa folie et que je sais désormais appréhender les maux qui l'accablent. Parce que je sais tirer le prévisible de son imprévisibilité. Parce que le soir, je suis celle qui lui murmure les plus belles histoires, je lui offre les plus belles mélodies et c'est avec qu'il compose ses plus beaux morceaux.

Et parce qu'Amor est friand de musique, j'ai su le dompter en devenant son joueur de flûte. Amor n'est qu'un gros rat, dont la queue frétillante s'agite lorsque je souffle dans ma flûte, le guidant là où je souhaite qu'il aille. Et s'il ne s'en est pas encore rendu compte, c'est encore à cause de son arrogance. Parce qu'il pense sincèrement m'avoir attrapé entre ses filets et pouvoir m'agiter à sa guise au-dessus des bancs de requins de Camden. Sauf que si lui est un gros rat, je suis la plus rusée des anguilles et, aucune maille ne peut m'empêcher de me glisser hors de son filet.

Amor est un idiot et, c'est ce qui va le conduire à sa perte. Peut-être pas aujourd'hui, peut-être pas demain mais, très bientôt. J'en ai fait une promesse personnelle.

_Ferme cette fenêtre. Claque la voix d'Amor dans mon dos. Tu as gelé l'appartement avec tes bêtises.

Je jette un coup d'œil à son allure débraillée et glisse de mon tabouret pour exécuter son ordre. Des cernes violets colorent sa peau mate et son visage porte encore les stigmates de la nuit. Amor a mal dormi. Comme à chaque fois qu'il revient de l'Atelier. Parce que si ses spectacles lui permettent de raffermir son emprise sur la ville, ils sont également à l'origine de ses plus beaux cauchemars. C'est uniquement pour cela, qu'il souhaite se salir les mains le moins possible. Étant donné que le soir, son cerveau rejoue en boucle ses plus belles ballades.

Je suis la seule à le savoir. Même lui ignore que je suis au courant des rêves qui hantent ses nuits. C'est sa faiblesse et si quelqu'un venait à entendre les gémissements et les cris d'agonies qui s'échappent de sa bouche, il chuterait aussi vite du piédestal sur lequel il s'est hissé.

_Tu as pu finir de régler ton affaire ? Demandé-je, innocemment alors qu'il se sert une bonne tasse de café noir.

Un sourire étire la commissure de ses lèvres pourtant aucune étincelle de joie ne vient faire briller ses pupilles. Amor est un vantard. S'il prend soin à ne pas me raconter en détails en quoi consiste ses affaires, pour ne pas heurter ma sensibilité, comme il s'amuse à le dire, en revanche, il n'hésite pas à se pavaner de ses réussites.

Los Encantadores [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant