Chapitre 35 - Camden - New Jersey

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_J'espère que tu es sûre de toi.

L'Atelier se dresse face à nous. Plus impressionnant que jamais. Esteban, debout à mes côtés, fixe, la mine mauvaise, sa façade décrépie, qui ne m'a aucunement paru aussi triste et maussade qu'en cet instant. Ses pierres semblent porter les nouveaux stigmates des activités illégales, déroulées ces dernières semaines à l'abri des regards indiscrets. Si je ferme les yeux, j'entends distinctement les cris des victimes s'élever et je peux voir le sang couler.

L'air frais de cette matinée, roule sur ma peau, faisant dresser les poils de mes avant-bras. Nous avons roulé toute la nuit, poussés par l'adrénaline de notre fuite précipitée. Et alors que le soleil se découpait sur la ligne d'horizon, chassant la noirceur de la nuit, le but de notre voyage est apparu.

Un frisson me parcourt, témoignant de l'appréhension qui couve en moi, perfidement. Je sens sa masse peser sur mon estomac, provoquant des remous indésirables qui remontent jusqu'à mon œsophage. Mes poings se serrent d'eux-mêmes tandis que je relève le menton, pour me ressaisir. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour faire demi-tour au dernier moment.

_Je n'ai jamais été aussi sure de toute ma vie. Rétorqué-je, avec plus de convictions que je n'en possède réellement.

Nerveusement, j'essuie la paume de mes mains sur mon jean. En ce mois de mai, les températures se sont réchauffées, bien qu'à cet instant, je regrette de ne pas avoir pris le temps d'enfiler une veste. Il aurait été plus facile d'assumer mes dires, emmitouflée dans un bout de tissu qui m'aurait servi d'armure. Malheureusement, l'heure n'est plus aux regrets.

Je retiens mon souffle, lorsque la lourde porte en acier pivote sur ses gonds. Son cri d'agonie s'élève, couvrant, partiellement, l'agitation familière de l'Atelier et dévoile un spectacle qui me glace le sang.

Au centre de la pièce, une personne est suspendue, maintenue par d'épaisses cordes qui sont enroulées de part et d'autre de ses poignets. Je ne discerne pas son visage, mais au vu de la flaque de sang à ses pieds, elle est morte. Ou en passe de le devenir.

Ce spectacle macabre accentue ma nausée. Je tente d'en faire abstraction et balaye la foule, à la recherche de quelqu'un en particulier. Mais l'heure est aux festivités avec, somme toute, l'homme crucifié pour invité d'honneur. Si bien que je ne discerne rien d'autre qu'une masse grouillante, pressée autour du corps. Et j'ai beau me tordre le cou pour regarder par-dessus, je dois me rendre à l'évidence. Je suis trop petite.

Mais, je n'ai pas le temps de faire un pas, qu'une vingtaine de canons me prend pour cible. Le cliquetis caractéristique du déverrouillement de ces armes emplit l'espace avant qu'un silence, digne des plus grandes cathédrales, ne s'abatte.

Je me fige, les bras en l'air, Esteban sur les talons. Les battements de mon cœur sont amplifiés par le calme qui règne dans l'entrepôt et je les sens se répercuter dans chacun de mes os. Ils s'entrechoquent si furieusement que je crains, un instant, qu'ils puissent tous l'entendre. La peur me terrasse et je tente de la camoufler en carrant les épaules, les défiant du regard. Car ces chiens se délectent de cette trouille qu'ils peuvent flairer à des kilomètres. Et il est hors de question de leur accorder ce privilège.

Soudain, le raclement de chaussures frottant le macadam s'élève. Petit à petit, le bruit se précise et son vacarme traînant, fait écho à l'effroi qui rampe en moi. En face de moi, le groupe d'hommes et de femmes se divisent, laissant émerger une silhouette. L'image de Moise séparant la mer en deux se superpose dans mon esprit. Je me mords la langue pour contenir ma grimace. Dire que ce crétin pourrait avoir la prétention de se comparer à un prophète.

La lumière jaunâtre de l'Atelier éclaire sa progression. Et dans le contre-jour qu'elle offre, Amor apparaît.

Plus terrifiant et sanguinaire que jamais.

Los Encantadores [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant