Deux mois plus tard
Quelques flocons de neiges craquent sous mes pieds alors que je remonte l'avenue traversant Midtown Village, le centre de Philadelphie qui concentre la majorité des restaurants et des bars de la ville. C'est dans ce quartier animé qu'Amor m'a déniché un travail en tant que serveuse. Cinq soirs par semaine je fais le long chemin de Fishtown –là où je dors- jusqu'à McGillin's Olde Ale House –une des plus anciennes tavernes de la ville-. Depuis 1860, l'établissement se dresse au détour d'une ruelle et, est reconnaissable par sa devanture composée de briques rouges et ses fenêtres jaunes. Comme un phare, apparaissant au milieu de la nuit, son panneau lumineux, aux lettres rouges, scintille à l'angle de sa façade.
Ici, les grandes portes en bois sont toujours ouvertes, quel que soit le temps. Et pour cause, ce n'est pas le passage qui manque. Touristes et locaux se mélangent, vont et viennent dans un balais incessant qui me donne le tournis à chaque fois. Je pénètre dans le bar, époussetant ma veste pour faire voltiger les derniers flocons tenaces accrochés. A l'intérieur, des éclats de rires résonnent entre les murs et sur le comptoir s'amoncellent déjà des pintes de bières. Je rejoins Shirley, en me frayant un passage entre les clients adossés au bar.
_Pile à l'heure. Me dit cette dernière, tout en soufflant sur ses quelques mèches rebelles échappées de son chignon et qui se baladent devant son visage.
_Ils sont en avance. Je rétorque en désignant d'un geste rapide notre clientèle habituelle déjà perchée sur les divers tabourets de bois.
_Les Eagles jouent ce soir.
Les Eagles de Philadelphie. La célèbre équipe de football américain qui, à partir de 2003, a commencé à jouer tous ses matchs à domicile au stade Lincoln Financial Field. Il n'est donc pas surprenant qu'à cette heure, la salle soit déjà remplie des supporters qui n'ont pu, malheureusement, avoir accès au stade. De l'autre côté de la pièce, j'aperçois Ayoub, le propriétaire des lieux depuis quinze ans. Il me salue d'un signe de tête avant de retourner à sa discussion.
Ayoub semble autant me craindre que me respecter. Un mélange si subtil que par moment, il m'arrive de penser qu'il me déteste tout bonnement. Pourtant, j'ai su rapidement faire mes preuves –ayant déjà travaillé plusieurs années dans la restauration, reprendre mes marques fut aisé. Cependant, je doute que mon travail ou ma personne soit la raison de son mal être. Il est vrai que c'est Amor qui s'est occupé personnellement de me trouver un travail. Il se pourrait donc que les discussions aient été toutes sauf amicales...
Les rires gras résonnent entre les vieux murs de pierres, me faisant grimacer. Il m'arrive très souvent de terminer mon service avec un affreux mal de tête. Désormais, dans mon sac, coincé près de mon neuf mini-mètre, se trouve une boîte de médicament.
Alors que mes pupilles errent sur ses hommes et femmes, agglutinés contre les télévisions, leurs pintes de bières dans les mains, je sens une colère sourde s'immiscer dans mon cœur. Je n'ai jamais autant détesté Amor qu'en cet instant.
J'étais si proche du but. J'avais travaillé tellement dur pour me hisser à ma place. J'avais réussi à me glisser au plus près de mon ennemi. Il me restait si peu de temps avant de me délecter de ma victoire.
Et pourtant...
Envoyée de l'autre côté du Delaware, dans une ville inconnue.
Reléguée à redevenir une simple serveuse.
Utilisée telle une moins que rien.
Tous ses efforts, pour être balayée d'un simple revers de main par ses cousins. Comme une mouche à merde. Parce qu'Amor est l'une des plus belles merdes de ce monde. Mais, ce que les Encantadores ne savent pas, c'est qu'à l'instar de mes consœurs, je peux me montrer aussi intempestive qu'elles. Et nul ne pourra me barrer le chemin me ramenant auprès de mon repas.
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Los Encantadores [Terminé]
RomansaEllea n'a qu'un seul objectif dans sa vie : la vengeance. Infiltrée chez les Encantadores depuis deux ans, elle a enfin obtenu la place qu'elle convoitait, devenant la copine officielle d'Amor, l'un des plus dangereux narcotrafiquants de Camden. Ell...