Chapitre 36 - Camden - New Jersey

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Je me réveille en sursaut, les sens en alerte. Un bras entrave ma taille, me tenant fermement contre le matelas, tandis qu'une masse chaude est pressée contre mon flanc, m'étouffant. Je pivote légèrement, juste assez pour apercevoir, la tête enfouie contre son coussin, Amor dormir paisiblement. Son souffle apaisé emplit la pièce, témoin de son impassibilité à ma soudaine détresse.

Il faut dire que la fête organisée pour notre retour – à Esteban et moi- s'est prolongée jusqu'au petit matin. Et lorsque l'alcool est venu à manquer, ce sont les stupéfiants qui ont pris le relais. Autant dire, qu'entre son verre de vodka pure dans la main et son nez poudré de blanc, Amor a bien profité. Grâce à ce mélange explosif – quasi-mortel au vu des quantités - il a rejoint les bras de Morphée, à peine le pied posé dans son appartement, nous empêchant de rattraper le temps perdu, comme il le souhaitait.

J'avais conscience que cette échéance - offerte sur un plateau ensanglanté – n'était que de courte durée. Et, ce répit arrive justement à son terme. Car dès lors qu'Amor ouvrira les yeux, il me mangera. Littéralement.

Je retiens un frisson d'angoisse à cette idée. Même si je me suis autorisée à dormir avec lui, pour ne pas éveiller ses soupçons, je suis déterminée à éviter –autant que possible – tout contact physique prolongé entre nous.

Mon dégoût a atteint son paroxysme. Si bien, qu'à chaque fois qu'il m'effleure, mon corps réagit avec force, me démontrant grâce à de nombreux haut-le-cœur, à quel point il le répugne. Malheureusement, en prenant la décision de retourner auprès des Encantadores, j'ai également fait le choix –conscient – de retourner dans son lit. Car l'un ne va pas sans l'autre. Et si ce moyen a été ma porte d'entrée, il sera également ma porte de sortie.

Doucement, je parviens à m'échapper de son étreinte. La brûlure du sol froid sur ma voûte plantaire m'arrache un gémissement, et je me précipite sous la douche pour chasser les stigmates de la nuit. Le front collé contre le carrelage, je me perds dans la contemplation de l'eau qui roule sur ma peau, brûlant mon épiderme et anesthésiant mon âme meurtrie.

Je reste si longtemps dans cette position que lorsque je repose le pommeau, l'air de la pièce est devenu suffocant. De la buée constelle les miroirs et ruissèle contre les murs. Je suis en train de m'enrouler dans une serviette lorsque la porte s'ouvre derrière moi.

Tel un prédateur, Amor me dévisage. Je me fige tandis qu'il se rapproche lentement, me dévorant du regard. Par ce simple geste, il me prouve que je reste –envers et contre tout- sa proie préférée. Et sa suprématie n'a d'égal que son égo surdimensionné. Car s'il se pense être un superprédateur –se tenant au bout de la chaîne alimentaire – il n'a pas encore remarqué que son espèce est en déclin, redevenant un maillon parmi tant d'autres. Et que, incessamment sous peu, sa chute sonnera le glas de son existence.

En attendant patiemment ce jour, mes yeux, comme hypnotisés, se contentent de suivre sa main qui vient caresser ma nuque avant d'emprisonner en son poing une de mes mèches de cheveux mouillées.

_Tu aurais dû me réveiller. Chuchote-t-il.

Sa voix, encore enrouée par le sommeil, brise le silence que je me suis efforcée d'imposer jusqu'à là. Alors qu'il se penche –certainement pour m'embrasser -, son souffle erratique s'échoue sur ma joue. Doucement, je recule, plaquant mes mains contre son torse dans une vaine tentative d'installer une distance entre nous, bien consciente, néanmoins, qu'elle ne résisterait pas à sa force, s'il venait à la traverser.

_Tu dormais profondément, j'ai préféré te laisser récupérer. Rétorqué-je, en minaudant.

Traduction : j'ai profité que tu dormais, pour te fuir.

Los Encantadores [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant