Chapitre 1 ( Partie 2 ) : Camden - New Jersey

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Camden défile sous nos yeux. Assise à l'arrière de la Jeep d'Amor, j'observe les rues à travers la vitre sans tain. Camden est le vilain petit canard du New Jersey. Aucun building. Aucune lumière. La ville a été transformée par le chômage, la corruption et la drogue en monstre difforme de l'Amérique. Le rêve américain ? Voilà bien longtemps qu'il s'est changé en cauchemar. Ici, on trouve, à chaque coin de rue, une chapelle dédiée à un dealer mort en exercice où à un habitant qui s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

La ville en elle-même n'a rien de glorieux à offrir si ce n'est l'aquarium, qui borde la rive du fleuve Delaware et, offre l'unique raison du maigre afflux touristique en été. Bien que le bâtiment semble encore figé dans les années 80, la diversité des animaux marins proposée fait, que cet aquarium en vaut le détour. Je me rappelle y être allée, petite avec ma classe lors d'une sortie scolaire et je garde un souvenir mémorable de ma rencontre avec l'un de ces poissons les plus impressionnants, le requin blanc. Bizarrement, alors que tous mes camarades hurlaient et s'échappaient en courant de la salle où se promenaient tranquillement ces squales, j'avais été stupéfaite par leurs mâchoires puissantes et leurs longues dents qui scintillaient grâce aux reflets de l'eau. Peut-être avais-je été impressionnée par leurs prestances. D'apparence si calme, ils réussissaient néanmoins à effrayer la plupart des bêtes, même celles plus grandes qu'eux. Leurs seules présences suffisaient à faire dresser les poils sur les avant-bras. Ils étaient à la fois craints et respectés. Un mélange si savamment dosé, qui jusqu'à encore aujourd'hui, m'inspirait de grande chose.

Amor donne un coup de volant brusque avant d'abattre son poing furieusement sur le klaxon, me sortant de ma rêverie. Le choc est si soudain, que ma tête heurte la vitre et ma ceinture me coupe momentanément la respiration. Sur le bas-côté, un pick-up Ford, rouge écarlate, s'est arrêté précipitamment devant la belle Shirley, qui passe les trois-quarts de son temps à arpenter le trottoir de Broadway Street. Ce boulevard est aussi connue que l'Aquarium, si ce n'est que les espèces de poissons qui l'occupent s'apparentent plus aux fantastiques créatures marines, à savoir les sirènes, qu'à de simples animaux aquatiques.

Perchées sur leurs hauts talons, ces séductrices dans l'âme se servent de leurs atouts pour guider tous les marins égarés à bon port. Un port où règne le plaisir de la chair, où s'entasse les liasses et où le champagne coule à flot. J'ai failli atterrir dans un de ses endroits, malheureusement –ou heureusement- pour moi, je n'avais pas « les bons attributs pour aguicher la gente masculine » dixit le vieux pervers qui m'a maté – et plus- sous toutes les coutures pendant plus d'une demi-heure. Mon égo en a pris un coup mais, j'ai vite su retomber sur mes pattes. Je revois encore le visage stupéfait et le rire jaune qui a franchi les lèvres du propriétaire, lorsque je lui ai arraché l'un de ses plus gros clients. Amor a quitté son club libertin aussi vite qu'il n'y était rentré. Et les billets qu'il jetait sur les corps luisants d'huile bon marché de ses partenaires, me sont vite revenus.

Il m'arrive encore de passer devant la devanture pour me pavaner et le faire enrager, sachant pertinemment que de l'autre côté ce vieux crétin n'attend qu'une chose, que je me brûle les ailes. Mais, ce qu'il n'a pas compris c'est que je n'ai pas la condescendance d'Icare. Je suis même très loin de lui ressembler. Mes ailes sont en bétons armés et j'ai la prétention d'être, à défaut de cet idiot intrépide, le soleil lui-même. Si je brûle et que mon arrogance m'emporte trop loin, je brulerai tout sur mon passage. Quitte à y laisser des plumes, autant le faire avec dignité.

Amor finit par quitter le centre de Camden, longeant l'autoroute 676, qui coupe la ville en deux. C'est dans le nord, à côté de Cooper point, que se trouve l'Atelier. Usine désaffectée, rachetée par Amor quelques années plus tôt, elle est devenue le point central des Encantadores. L'endroit est quasiment désert. Situé le long de la côte fluviale, l'endroit, autrefois animé par les passages des bateaux, a fini par perdre de sa prestance puis de son utilité, ne restant désormais qu'une succession d'entrepôts sinistres. Le seul point encore en activité est une entreprise de construction navale, la Weeks Marine. Mais, grâce à quelques mains grassement payées, les responsables de cette société ferment les yeux sur les activités –très- peu légales qu'Amor organise non loin d'eux.

Los Encantadores [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant