Chapitre 4 - Mister Klaus

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Octobre 2019

Il est 21 heures lorsque j'éteins enfin mon ordinateur. Je n'ai pas vu la journée passer. Il y avait tant d'affaires à gérer. Et je ne sais pas déléguer. En y repensant, je mérite largement mon surnom de Mister Control Freak. Avant de plier bagage, je parcours rapidement mon agenda, comme un rituel, mon satisfit : j'ai honoré 2 rendez-vous physiques, passé une dizaine de coups de fils et répondu à une vingtaine de mails. Je souris, je crois que j'ai gagné ma journée. Enfin presque... Il me reste encore une dernière chose à régler. Nous sommes le 02 octobre. Je compose le numéro vite fait en croisant les doigts :

- Allo ?

Elle répond de suite. J'aime sa spontanéité, sa fraicheur. Elle ne fait pas semblant, elle n'est pas vicieuse. Pas comme certaines que j'ai pu rencontrer.

- Vous êtes libre pour le réveillon ?

Et merde ! J'aurais dû lui demander comment elle allait... Cela fait dix mois que je n'ai pas eu de ses nouvelles. Et je me comporte comme un con. En fait, je ne sais jamais comment agir avec elle. Si je dois la séduire, ou si dois vivre ça comme un énième rendez-vous d'affaire. De client à client. Peut-être que j'aurais dû attendre d'être chez moi, posé pour l'appeler. Mais installé dans mon antre, dans mon bureau, je garde mes vieilles habitudes, et je reste un loup des affaires.

- Vous pouvez compter sur moi

Sa réponse me remplit de joie. Elle ne semble pas m'en tenir rigueur. Je raccroche rapidement.

Je m'appelle Connor et je suis pdg d'une entreprise d'export florissante. Financièrement, je n'ai rien à envier à personne. Sentimentalement, c'est autre chose. Les femmes sont ma seule faiblesse, mon talon d 'Achille. Je suis phobique de l'engagement alors que toutes les représentantes de la gent féminine que je rencontre n'aspirent qu'à se poser.

A l'approche de mes quarante ans, j'ai fait le bilan de ma vie et.. j'ai eu un gros coup de fatigue. J'ai ressenti pour la première fois, le poids de la solitude. Et il était immense. Je ne suis pas sorti de chez moi pendant un bon mois. Mon associé et accessoirement ami, Harry, croyant combler le vide de mon existence, m'a donné la carte de visite d'Isabel.

- Une escorte ? Je ne pense pas avoir besoin de faire appel...

- Essaie au moins. Tu seras surpris. Tu fixes tes limites et elle aussi Pas de surprise, c'est comme un contrat. Comme dans les affaires.

C'est grâce à elle que je l'ai rencontré. Hazel. Lorsqu'Isabel m'a montré une photo d'elle, parmi d'autres candidates potentielles, j'ai été surpris. Elle dénotait par sa candeur, on ne voyait qu'elle, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et en vrai, lorsque je l'ai rencontrée en chair et en os, je l'ai trouvé encore plus inspirante. Plus troublante. J'ai été bluffé par son naturel, décontenancé par sa mâturité. Une perle. C'est exactement ça. Elle était comme une perle esseulée, enfouie sous une tonne de sable.

Nous sommes sur la même longueur d'onde. Elle me tient compagnie, mais hors de question de franchir le pas de l'intime. Tant mieux, car Je ne recherche pas de sexe avec elle. Si j'en veux, je sais où le trouver. Il me suffit d'ouvrir mon carnet d'adresses. Ma réputation d'hommes affaires fait le reste. En fait, je ne sais pas à quoi je m'attends avec elle. Je prends ce qu'elle me donne.

Je suis un gamin, un ado attardé. J'ai beau être un trentenaire éprouvé, j'ai l'impression de régresser en présence de cette fille. Ma Christmas girl. Et elle est libre pour le réveillon.

Je respire de soulagement. Ce moment passé avec elle, c'est la seule parenthèse ou presque que je m'accorde. Il y a plusieurs années, j'ai vécu un énorme traumatisme à Noël. Mais c'est comme si c'était hier. J'ai commis un acte terrible. Ceux dont on ne peut pas parler, ceux dont on peut se confier à personne. Ni à un psy de peur qu'il vous interne, ni à un ami de peur qu'il ne s'éloigne. Il n'y a pas un jour où je n'y pense pas. Y penser à Noël, c'est le revivre. Alors je m'évade, je fuis le plus possible, pour ne pas y penser. A ses côtés, j'ai presque oublié mes regrets. Je n'ai presque pas pensé à mes fautes. Je me suis refait une virginité.

Hazel pourrait être la fille que je n'ai jamais eu. Je suis plus âgé qu'elle, plus expérimenté. Je ne suis pas en quête d'une relation tarifée avec elle, même si je monnaye sa présence. Je veux juste me sentir bien avec quelqu'un, être un homme bien pour changer. Quand elle pose son regard sur moi... ça vaut tout l'or du monde. Elle ne me voie pas comme une pompe à fric comme les autres. Juste comme un homme. Avec ses faiblesses. Et peu importe si les autres autour pensent que je suis son père. Que je suis trop vieux pour traîner avec une jeunette. Les regards que nous avons croisé en marchant dans la rue en disaient long.

Je ne sais pas grand-chose sur Hazel et c'est tant mieux. Je ne veux pas savoir ce qu'elle fait le reste de l'année, les dix mois qui précèdent notre rencontre. Je la paye suffisamment pour qu'elle n'ait pas besoin d'avoir d'autres clients. C'est une façon comme une autre de blanchir mon argent. J'investis dans son bien-être et dans le mien. Après tout, que ferais-je de tout cet argent une fois mort ? Tant qu'elle accepte nos rendez-vous, j'imagine qu'elle n'a personne d'autre dans sa vie. Et puis le jour où ça arrivera, parce que ce jour arrivera, elle est jeune après-tout, et bien... et bien j'en sais rien... Je ne veux pas y penser.

Pour l'instant, profitons. Et pour ça, il faut que je prépare notre réveillon. Je fais craquer mes articulations. Cela me détend en général. Et me rappelle à quel point je suis vieux. Alors où pouvons-nous aller cette fois-ci ?

J'adore voyager. M'évader de mon quotidien. J'ai l'impression d'être prisonnier de ma vie. La seule permission que je possède c'est à Noël. Alors je vois les choses en grand. A quoi rêve un condamné une fois sorti de taule ? Moi je rêve d'innocence, de pureté, de vérité. Hazel est mon authenticité. Elle me connecte au réel, elle est mon ange tombé du ciel.

Mister KlausOù les histoires vivent. Découvrez maintenant