Partie 15 - L'Invité est là !

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Il est 22h43. Je descends du Uber pour la maison, comme il y a pas de bus qui passe au boulot après 20h. Heureusement que je finis pas tous les jours à cette heure-ci. J'ai voulu demander à Mirdjane de me récupérer mais j'ai juste fini par abandonner l'idée. Je l'évite. Mon cœur, mon esprit et Lou l'évitent. Bref. Le Ramadan commencera demain, in shaa Allah. Tout aura un goût différent cette année et ça va être vraiment long, je le sais d'avance. Mais pour l'instant, la bonne nouvelle c'est que j'ai enfin eu mes congés. Trois semaines : deux avant l'Aïd et une après.

Pendant que j'attends l'ascenseur, je reçois un appel de Nadja.

« - Allô !
- Ouais, allô, Hal. T'es rentré, demande-t-elle énergiquement.
- Euh, oui... Ça va ?
- Héhééé ! Skari ijo bayoi, skari ijo bayoi, mtrou wangou !
- Haha. Ouais, j'suis au courant.
- Faut profiter ce soir... Tu viens ?
- Hé wawé ! T'es toute excitée comme ça... Je viens où ?
- Y a une soirée à Électra ce soir, viens on va profiter une dernière fois sah ? »

Attends, elle est bourrée ? Hein ? Mais elle boit pas elle... Ou c'est moi qui entends mal ?

« - Euh... Non non, j'suis crevée là. J'veux juste aller dormir.
- Mais non... On y va, stpl Haloua ! On y va chaque année, allez !
- Ouais mais... Non, Nadj. Franchement j'suis fatiguée.
- Wawé tsi sérieuse sah. Si Sali était là, elle viendrait...
- Hé wawé Nadja, sab' koi lé... »

Elle m'a raccroché au nez. Bon, je la soupçonne fortement d'être ivre. Waaaa... Je sais que c'est une fêtarde mais je pensais pas qu'elle franchirait cette limite... Mais non, elle est juste excitée !

J'arrive à la maison et retrouve ma mère et Nasser au salon.

« - T'as entendu, mésso Tsoumou 'ka Moungou avendzé, me lance ma mère.
- Oui, je l'ai su depuis le boulot.
- Pour une fois cette année on commence en même temps que Mayotte, rajoute Nasser.
- Et les Comores aussi, reprend ma mère.
- Bwé hayiri iyo ! »

C'est vraiment rare que ça arrive. D'ailleurs je devrais peut-être appeler Sali ? On rigole en parlant des anecdotes des Ramadan qu'on a vécu depuis qu'on est arrivés ici. On rit pour certains et se désole pour d'autres. Il s'en est passé des choses ces dix dernières années hein. Mais à chaque fois qu'on parle de Ramadan on peut pas s'empêcher de parler du Ramadan à Mayotte. C'est pas du tout la même chose. C'est plus doux et... goûteux au bled. Et chaque année, chaque Ramadan confirme que c'est un fait. Mais bon, on s'y est habitué. Je me demande d'ailleurs si j'y retournerai un jour, ou plutôt, si ma mère me laisserait y aller. En parlant de Mayotte, j'ai pensé à mon père sur tout le chemin du retour, mais il se fait tard là-bas. J'ai pas osé l'appeler. En plus, ça fait tellement longtemps que j'ai pas pris de ses nouvelles que j'ai honte de le faire. On bavarde encore un peu puis je les laisse devant leur reportage sur Mayotte. La nostalgie est en train de les chicoter.

Il est 23h12. J'ai pris une douche et me suis allongée sur mon lit. Depuis qu'on a confirmé le début du Ramadan, j'arrête pas de penser à Samir. Je pensais pas que je réussirais, qu'on réussirait à rester aussi longtemps sans se parler. C'est fou comme je misais beaucoup sur l'amour qu'il y a entre nous, aou qu'il y avait, tsiji. J'aimerais tellement lui souhaiter un bon Ramadan et lui dire qu'il me manque avant de passer ce mois sacré pendant lequel je me forcerai encore plus à pas lui parler. Les deux derniers Ramadan, je lui préparais une boite de ce qu'on cuisinait à la maison et il la récupérait avant la rupture du jeûne ou plus tard après tarawih. Je me rappelle que le soir on restait dans sa voiture à discuter longuement, essayant de rien faire et de juste profiter de la présence de chacun. Rien que d'y penser, j'en ai des papillons au ventre. C'est donc ça aimer... l'interdit ? A a...

Haloua - Moi, mon Nafs et RamadânOù les histoires vivent. Découvrez maintenant