Il est 12h23, un jeudi de février. Je viens de finir le travail, enfin, "le travail", un bien grand mot. Je suis une honte pour certains de mes proches : « faire une licence de chimie pour s'arrêter et finir au Quick, quel gâchis ! ». Je l'ai tellement entendue celle-là que je fais même plus attention. Est-ce que je le vis bien ? Euh... ouais hein. Après trois ans à jouer avec des liquides dangereux et retenir des formules longues comme mon bras... Ma tête en a eu marre. Franchement, faire des frites c'est bien. C'est très bien même !
Mes meilleures potes, Nadja et Salima, respectivement Mahoraise et Comorienne, qui arrêtent pas de me souler avec ça, elles font pas mieux non plus hein. Nadja s'est arrêtée au Bac pro Boulangerie et bosse pour la même boite dans laquelle elle évolue pas depuis le temps - mais "ça paie les courses", comme elle dit souvent. Quant à Sali, elle est en deuxième année d'un Master qu'elle déteste. Tout ça pour rendre fière sa mère, comme elle est fille unique, et son potentiel futur mari, qui est loin d'être aussi intelligent qu'elle. On va éviter de citer son dernier diplôme hein. Vraiment, essayez même pas de comprendre : « il est plus qu'un bout de papier ». C'est ce que sort Sali à chaque fois qu'on lui fait la remarque. Effectivement, il est surtout plus beau ouais...
Bref. Je suis dans les vestiaires, je lâche ma tenue qui pue la friture là et me change. Avant que je zappe et parce que je veux pas marcher sous le froid, j'appelle pour qu'on me récupère. Non, pas mon mari, mais vous avez compris.
« - Salam bb, t'as fini ?
- Salam. Oui, j'me rhabille. Tu m'récupères ?
- Oui oui, j'suis déjà au parking.
- C'est vrai ? Bwé ! Ouss évolué !
- Oumayizi ?! Mdr. Vas-y j't'attends.
- Krkr. Ok j'arrive ! »L'homme qui s'est abonné au retard est en avance. Koudoura !
Je sors et le retrouve adossé à sa voiture, les yeux sur son téléphone. Je m'approche et me penche sur son écran : aucune réaction. Il répond à un message de son meilleur pote. Je reste dans la même position et attends qu'il finisse d'écrire. J'arrive à rien lire à l'envers, de toute façon.
« - Salam, Amira, fait-il en posant un bisou sur mon front. »
Le premier Mahorais qui fait une remarque sur mon petit nom, atsoni kiya ! Pourtant il sait hein, ce que ça veut dire en Shimaoré. Mais il s'en fout complètement parce qu'en arabe c'est un joli mot. Bref. Je lui rends le bisou sur la joue et lui demande ce qu'il complote avec son pote. Il m'explique qu'il doit le couvrir, blablabla... Il me cache rien. On est assez complices, c'est mon pote. C'est peut-être pour ça qu'on se lâche pas depuis ma dernière année de fac. Ça fait un an et demi qu'on est ensemble. Presque deux ans qu'on se supporte et se soutient. Bref, vous aurez compris je pense : "zé soui lov dé lui". Ah oui, tant que j'y suis : non, c'est pas un Mahorais mais Marocain. Trois ans de plus que moi, grand, sourire charmeur et plutôt réservé. Il a fini son Master l'année dernière et travaille dans une grosse boîte de marketing. Je vous laisse deviner son prénom...
On monte dans la voiture, vitres fermées, chauffage. Il fait grave froid dehors ! Et il reste encore le mois de Mars à passer. Il me fait remarquer que je pue la friture, comme si je le savais pas déjà. Du coup, je baisse la vitre, qu'il remonte tout de suite après.
« - Hé wawé ! J'préfère mourir en sentant ton odeur, que mourir de froid. T'es folle !
- Ayi !
- Bassi ! »J'éclate de rires après son "bassi". Mais quelle fierté ! Je le "mahorise" de jour en jour. Et de l'autre côté mwégné me parle en arabe tous les jours fériés. Pff... Les seuls trucs que je connais c'est "amira" et "khamar". Sans commentaire.
On fait un petit tour avant qu'il prenne la direction de la maison. Un quartier avant le mien, Samir (bingo !) se gare. Je sais déjà ce qui va se passer. Alors, comme une voleuse, je regarde autour pour vérifier qu'il y a personne. J'espère, sans forcément le dire, qu'un jour Allah nous ouvrira la voie du halal. Et puis, jusqu'ici, personne nous a jamais chopé dehors. Ça reste entre nous et Dieu. En tout cas, on en est convaincus.
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Haloua - Moi, mon Nafs et Ramadân
Teen FictionMade in Mayotte (de France) 🇾🇹🇨🇵🍃❄️☀️🌴 Si tu crois au destin, au Qadr, aux plans parfaits d'Allah, je t'invite à lire cette histoire. Il a suffit d'un Ramadan, un seul où Haloua a essayé de faire mieux... [Sourate Al-Baqara (2), verset 185] ...