Chapitre 1

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L'été touchait définitivement à sa fin. Le soleil brûlant perdait doucement de sa superbe tandis que les feuilles ornant les branches des arbres prenaient une teinte orangée. La fin du mois de septembre sonnait néanmoins le début d'une nouvelle année scolaire. Dans mon cas, elle signait aussi mon retour dans une ville que j'avais quittée dix ans plus tôt.

Si j'avais été honnête, ce sourire sur mon visage aurait mué en une grimace maussade. Pourtant, je ne détestais pas cette ville ; bien au contraire. Ce retour ici avait le parfum de mon enfance, la fragrance d'une douce nostalgie. Au fond, une part de moi ressentait un peu de joie. Tout au fond. Peut-être étais-je revenue pour cela, pour ces moments joyeux que j'y avais vécu.

Ainsi, après avoir fêté mes vingt-deux ans et échoué ma troisième année de licence, j'avais eu besoin de changer d'air. Mon choix s'était irrémédiablement porté sur cette ville. Celle-ci disposait d'une université tout à fait correcte où le parcours que j'avais choisi était également disponible. Sans trop d'hésitations, j'avais envoyé mon dossier afin de refaire ma dernière année de licence là-bas.

Aujourd'hui même, alors, je faisais mon entrée dans ma nouvelle université. J'allais disposer d'une chambre double sur le campus et d'un emploi du temps rempli d'une multitude de cours différents. Après être passée par l'administration pour rendre les derniers formulaires, une dame acariâtre m'indiqua par quelques balbutiements là où se trouvait ma chambre. Je dus parcourir plusieurs kilomètres pour me retrouver devant la bonne porte. Le souffle court — je traînais une grosse valise et deux sacs — je toquai à la petite porte sur laquelle le numéro quatorze était inscrit.

— Tu dois être ma nouvelle colocataire.

Une jeune femme se tenait dans l'encadrement de la porte, un sourire à peine perceptible sur le visage. Sa voix, néanmoins, dégageait une certaine forme de sympathie ; ou peut-être de politesse. En tout cas, elle s'empara volontiers de ma valise pour m'aider à la glisser dans la chambre. Lorsque j'eus posé tout mon bric-à-brac au sol, je lui souris.

— Merci. Je crois que j'ai fait toute la fac avant d'arriver jusqu'ici.

Elle ne répondit pas, ce même sourire à peine visible sur ses lèvres fines. Après un bref soupir, je pivotai de nouveau mes yeux vers elle.

— Je m'appelle Louve.

— Johanne, répondit-elle.

Nous restâmes là, à nous fixer sans rien dire. Derrière ses lunettes, je pouvais voir ses yeux bleus sombres s'éclairer d'un étrange mélange de jugement et de curiosité. De longs cheveux noirs encadraient son visage carré sur lequel un petit nez rond se redressait légèrement. Elle ressemblait à une grande chouette.

Sans rien dire, je détournai mon visage afin de me pencher vers l'un de mes sacs. Aussitôt, ma nouvelle colocataire se rassit derrière son ordinateur. Notre échange fut si bref que son ordinateur n'avait même pas eu le temps de se mettre en veille.

Pendant plusieurs dizaines de minutes, je m'évertuai à ranger mes affaires. Cette activité, aucunement passionnante, avait le mérite de distraire mon esprit de pensées plus sombres. De la même façon qu'un automate — le regard assurément aussi vide — je sortis mes tee-shirts, pulls et autres vêtements afin de les fourrer dans mon placard. Le cliquetis du clavier sur lequel Johanne tapait frénétiquement faisait office de musique et m'accompagna durant ce long processus. Elle m'évitait la mélodie du silence, le rythme désagréable de la mort.

Lorsque j'eus fini, la satisfaction qui m'étreignit fut trop rapide pour m'en repaître. Il fallait que j'occupe ma tête.

Naturellement, j'avisai la jeune femme qui se trouvait là. Penchée sur son ordinateur, le verre de ses lunettes reflétant la lumière de l'écran, elle ne semblait pas disposée à parler. De toute évidence, il me faudrait attendre avant de balayer les préjugés qu'elle s'était forgés en m'ouvrant la porte un peu plus tôt.

Louve [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant