Chapitre 30

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  Après avoir descendu une bouteille entière et attaqué la suivante, nous décidâmes qu'il était temps de sortir.

Le tirage que j'avais eu nous avait dissuadés d'en tenter un nouveau ; personne n'était très disposé à connaître les détails de son avenir, pas plus qu'ils ne nourrissaient l'envie de voir leur passé étalé devant tous. J'avais fait office de cobaye, et vu le résultat, nous n'étions pas très tentés de réitérer l'expérience.

— L'un des bars fait de très bons cocktails il paraît, nous expliqua Victoire. Ils ne lésinent pas sur l'alcool.

— Je vais y aller doucement avec les cocktails, dis-je aussitôt. Notre soirée au Vespéral m'a un peu refroidie.

Les filles se mirent à pouffer.

Sur le chemin, deux groupes se formèrent assez naturellement. Tandis que Johanne, Victoire et moi ouvrions la marche, Viktor et Annabelle demeuraient un peu en arrière. Du coin de l'œil, je les voyais discuter et se sourire.

— S'ils s'envoient pas en l'air d'ici la fin des vacances ces deux-là, commenta Victoire d'un ton assuré.

— Il n'est pas toujours question de sexe, la reprit Johanne.

— Bien sûr que si, répliqua l'autre comme si c'était une évidence.

Johanne soupira, irritée.

— Bah quoi ? insista Victoire.

— Je pense simplement que l'aboutissement d'une relation, ce n'est pas toujours le sexe. Parfois, passer de bons moments ensemble, discuter, faire des activités, c'est très bien aussi.

Victoire l'observait sans comprendre. C'en était presque amusant, car il n'y avait aucune forme de jugement dans ses yeux sombres, seulement une vaste incompréhension.

— Mais tu peux faire tout ça en plus du sexe, répliqua-t-elle les yeux plissés.

— Et aussi sans ! rétorqua l'autre.

— Là, je te suis pas.

— Laisse tomber.

Johanne croisa les bras, un peu gênée. Derrière le verre de ses lunettes, je voyais l'embarras se peindre jusqu'à ses joues. Malgré l'obscurité, les lampadaires éclairaient la délicate rougeur qu'avaient prise ses pommettes.

— Je crois qu'elle essaie simplement de te dire que certaines personnes n'ont pas besoin de sexualité dans une relation, soufflai-je gentiment à Victoire.

La concernée sembla un instant perplexe. Elle jeta un regard en arrière, vers Viktor et Annabelle.

— Soit, concéda-t-elle. Mais je vous parie tout ce que vous voulez que ce n'est pas leur cas.

Elle esquissa un sourire coquin en se tapotant le nez de l'index.

— Je sens ces trucs-là. C'est comme toi et Arthur, me dit-elle ensuite.

Après ce qu'il s'était passé, je n'en étais plus aussi certaine. L'avais-je seulement été ? De mon côté, les sentiments étaient parfois un peu ambigus, mais du sien, ils me paraissaient très clairs : haine, rancœur, mépris et compagnie. Rien dans cet affreux mélange ne laissait de place au désir.

— On s'est croisés à la bibliothèque, leur dis-je soudain.

Pendues à mes lèvres, elles se turent aussitôt. Je croisai maladroitement mes bras, les yeux fixés sur le sol ; j'aimais bien savoir où je mettais les pieds, et je n'avais pas envie de croiser leurs regards.

— La discussion n'a pas été très agréable.

Je leur racontai ce qu'il m'avait dit. En dépit de vouloir adopter un ton léger, ma voix se fit hésitante, parfois tremblante, et mes sourires n'étaient pas beaucoup plus convaincants. Lorsque j'eus prononcé le dernier mot à mon récit, comme une pierre finale à un mur branlant, je levai les yeux vers elles.

Louve [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant