Chapitre 27

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  Annabelle m'avait rejoint dans ma chambre une heure avant Lance. Nous avions convenu de cet horaire afin que nous ayons le temps de discuter toutes les deux, d'être un peu seules.

Lorsqu'elle arriva, elle avait imprimé notre dossier dans son intégralité. Il totalisait une dizaine de pages, dont une entière dédiée à la bibliographie. J'y jetai un œil distrait, l'esprit ailleurs.

— J'espère que nous aurons une bonne note.

— Il n'y a aucune raison que nous n'en ayons pas.

Notre projet, bien que mené en compagnie d'une animosité tenace, avait doucement pris forme, jusqu'à devenir d'une qualité irréfutable. Nous avions développé une réflexion profonde sur les relations à l'époque victorienne, sur les personnes qui les entretenaient autant que sur la société en elle-même. Du reste, nous avions intégré des références littéraires et artistiques sur lesquelles nous nous étions sérieusement penchés. Vraiment, je ne craignais définitivement pas notre résultat final.

— Tu sais, dis-je à Annabelle en réorganisant les feuilles, Viktor était inquiet pour toi la semaine dernière. Victoire aussi d'ailleurs.

— Je sais. En tout cas, Viktor m'en a parlé.

Annabelle se triturait nerveusement les doigts. Ce jour-là, elle portait un pull lavande qui la faisait passer pour une boule de coton. Ses cheveux tressés derrière sa tête renforçaient encore cette douce candeur.

— Je n'avais jamais raconté ça à personne. Tu es la première, m'avoua-t-elle d'une petite voix.

L'idée qu'elle ait porté seule un tel fardeau m'enserrait le cœur. Aucun de ses amis n'en avait rien su, pas plus que sa famille. Fatalement, elle n'avait jamais suivi de thérapie, jamais pu entreprendre un chemin vers la guérison. Elle avait seulement enfoui cet évènement au plus profond d'elle-même sans jamais oser en faire mention.

— Tu aimerais que ça change ?

Elle hésita avant de répondre.

— J'aimerais surtout avoir le choix. Depuis toutes ces années, j'ai été réduite au silence contre mon gré. Je n'arrivais pas à en parler, c'était trop douloureux, trop difficile, car une part de moi avait honte. Je déteste qu'il ait encore cette emprise sur moi, acheva-t-elle à voix basse.

Je n'étais pas certaine de la réponse à lui apporter. Quels mots pourraient la réconforter ? En existaient-ils seulement ?

Annabelle n'attendit pas que j'ouvre la bouche pour poursuivre.

— Te voir porter plainte m'a aidé, tu sais. Tu n'étais plus une victime impuissante, mais une personne qui se soulevait contre ses agresseurs. D'une certaine façon, tu as presque inversé les rôles. En tout cas, le rapport de force n'est plus le même.

— Ce que j'ai vécu est beaucoup moins difficile que toi, voulus-je tempérer.

Annabelle secoua la tête. Lorsqu'elle reprit la parole, sa voix était ferme.

— Hiérarchiser les souffrances, ça ne sert à rien. Je sais que cet évènement a fait écho à des choses terribles pour toi. Je sais aussi que cette démarche n'avait rien de facile, que tu as lutté contre toi-même pour te rendre au commissariat. C'est ça qui est important. Tu t'es battue, et tu te bats encore.

Des sentiments mitigés explosèrent dans ma poitrine. Une fierté, une certaine reconnaissance à l'idée qu'elle ait perçu tous mes efforts. Cependant, elle me mettait aussi face aux combats que je refusais de mener, à ceux devant lesquels j'avais abdiqué. S'il y avait des ennemis que j'affrontais vaillamment, il y en avait d'autres qui me terrifiaient par leur puissance.

Louve [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant