Un après-midi, Johanne m'accompagna de mauvaise grâce jusqu'à l'une des bibliothèques de l'université. Si celle-ci disposait d'une grande BU, chaque bâtiment regorgeait d'une réplique plus petite avec des ouvrages portant sur une discipline donnée. En tout cas, celle du bâtiment d'anglais regorgeait d'ouvrages écrits dans la langue de Shakespeare et d'essais sur le sujet. Pour ma part, je cherchais une recommandation que m'avait soufflée Annabelle pour notre projet de groupe.
— J'ai du travail, grogna Johanne en traînant des pieds derrière moi.
— Tu passes des heures derrière cet écran. Ça ne te fait pas du bien de sortir un peu ?
— Non, continua-t-elle de grommeler.
Je levai les yeux au ciel en souriant. Si elle n'avait pas voulu m'en livrer les détails, Johanne dédiait tout son temps libre à un projet personnel qu'elle souhait lancer d'ici la fin de l'année scolaire. Selon elle, si ses calculs étaient corrects, ce projet lui permettrait de lancer son autoentreprise et de devenir indépendante financièrement. Je vais me faire un paquet de fric, m'avait-elle assuré.
Bien qu'elle ait tout mon soutien, je m'inquiétais un peu de la voir enfermée chaque heure de chaque jour dans cette petite chambre.
— Ton corps a besoin de s'activer un peu, lui rappelai-je. Tu vas perdre toute ta masse musculaire sinon, comme les astronautes.
— Si j'étais dans l'espace, peut-être qu'on me ficherait un peu la paix.
Lorsque nous entrâmes dans la bibliothèque, l'étudiante à l'accueil me dédia une œillade sans équivoque. Décidément, toutes les filles du département d'anglais avaient désormais une dent contre moi.
— Encore une de tes affreuses belles-sœurs, Cendrillon, chuchota Johanne.
— Très spirituel.
Je l'entendis rire tandis que j'ignorai l'étudiante à l'épaisse tignasse brune. Bientôt, je disparus de son champ de vision pour m'engouffrer dans l'une des allées.
— Ça ne t'embête pas trop ?
Malgré son air bourru, je sentis la sollicitude dans sa voix. Johanne était au bout de l'allée, l'épaule collée à l'une des étagères, les bras croisés sous sa poitrine. Ses grands yeux d'un bleu électrique m'observaient derrière les verres de ses lunettes.
— Elles se contentent de me lancer des regards furibonds. J'ai connu pire.
Je n'avais jamais fait face à des mouvements de haine à mon encontre. Au cours de ma vie, les gens m'avaient toujours témoigné une certaine forme de sympathie, les garçons encore plus que les filles. Tout le monde s'accordait à me qualifier de « gentille » ; je n'avais pas l'habitude de déranger qui que ce soit.
Toutefois, j'avais traversé des épreuves autrement plus douloureuses que ces quelques œillades pleines de mépris. Les murmures qu'elles m'adressaient parfois pénétraient à peine mes oreilles ; le plus souvent, d'autres pensées accaparaient solidement mon esprit. Les démons qui remuaient à l'intérieur de moi effrayaient les vilaines paroles que mes oreilles laissaient passer. Alors, elles ressortaient sans tarder.
— Tu n'es pas obligée de m'attendre, lui glissai-je en observant le dos des livres. Tu as fait quelques pas hors de la chambre, c'est déjà pas mal.
Elle plissa les yeux en secouant légèrement la tête.
— Je vais mettre mon téléphone en silencieux et mon casque antibruit. Essaie de ne pas m'effrayer quand tu reviendras.
— C'est tentant, pourtant.
Elle ne releva pas ma remarque et quitta la bibliothèque au pas de course. Le silence qui régnait entre les rayons me fit prendre conscience de chacun de mes mouvements. Le froissement de ma veste en simili cuir, mes doigts qui saisissaient les livres, et le frottement de mes baskets sur le sol en PVC.
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Louve [En pause]
Teen Fiction« Le silence est une mélodie que je ne peux plus écouter. L'obscurité de la nuit est aussi celle qui voile mon cœur. » Pour sa dernière année de licence, Louve est de retour à Bagnan, une ville qu'elle a quittée dix ans plus tôt. Elle aimerait un no...