Chapitre 29

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  Quand Johanne me vit rentrer essoufflée et sans mon livre, elle bondit de sa chaise. Inquiète, elle m'assaillit de questions, mais je les éludai, lui assurant que tout allait bien. Malgré ses craintes, elle n'insista pas de trop. Une fois sûre que je n'étais pas blessée, elle consentit à se rasseoir, les yeux néanmoins vissés sur moi.

De mon côté, bien que nerveuse, je me réinstallai à mon bureau en silence, me plongeant à nouveau dans mes notes. Évidemment, rien ne pénétrait mon esprit, car il était accaparé par l'altercation que je venais d'avoir.

Alors c'était ça ; je n'étais rien de plus qu'une infâme manipulatrice qui avait mené en bateau tout son entourage. Je n'éprouvais rien pour lui, rien pour personne. Tout n'était qu'une comédie étudiée, jouée pour avoir de l'emprise sur les autres. Rien qu'à l'idée qu'il puisse y accorder du crédit, je sentis de la bile imprégner ma bouche.

Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, marquant ses mots d'une pulsation lourde et féroce. Comment pouvait-il croire une chose pareille ? De quels messages pouvait-il bien parler ? J'étais décontenancée, atterrée par ses paroles. Peut-être que Johanne avait raison, que la vérité était pire que l'ignorance. En tout cas, elle soulevait des questions supplémentaires, c'était certain.

— Tu ne veux rien me dire ? lança finalement Johanne.

Je secouai la tête sans la regarder. Non, je n'avais pas envie d'en parler. Je n'aurais même pas su quoi lui dire. Pire que ça, une voix désagréable me disait que Johanne arriverait peut-être aux mêmes conclusions, elle admettrait peut-être que j'exagérais, que tous mes sentiments n'étaient qu'un leurre.

À cet instant, j'étais encore trop perturbée pour raisonner cette part de moi.

Les jours qui suivirent, je taisais ce qu'il s'était produit. Rien dans ma façon d'être ne laissait supposer qu'une dispute m'avait profondément remuée. Je n'avais pas encore envie de partager cet échange avec mes nouveaux amis ; une peur irrationnelle m'en empêchait.

Lorsque le dernier cours s'acheva et que la soirée s'ouvrit, je n'étais pas malheureuse d'avoir proposé de passer ce moment avec eux. Mes pensées étaient accablées par ce qu'il s'était produit, mais aussi par l'arrivée des vacances. Les réminiscences de mon passé guettaient comme de dangereuses créatures parées d'ombre. Elles menaçaient de m'engloutir, de m'attirer vers des profondeurs que j'avais eu tant de mal à quitter. À côté de ça, les révisions et les partiels qui les suivraient n'avaient rien de très inquiétant ; j'aurais sincèrement aimé n'avoir à me soucier que de ça.

Ainsi, j'espérais profiter de cette soirée pour emmagasiner de bonnes énergies, faire le plein jusqu'à ce qu'elles débordent de tout mon être. Je voulais m'imprégner de leurs rires, des visages sereins, mais aussi des disputes anodines qui éclataient entre Johanne et Victoire. J'avais besoin de ces moments de vie, simples et sans concessions.

— Je ne sais pas si on se reverra tous ensemble avant la nouvelle année, alors j'ai pris les devants, nous annonça Victoire.

Elle était assise sur le tapis à poil ras de Johanne, les jambes croisées en tailleur. Dans ses mains, un paquet de cartes qu'Annabelle zieuta avec un sourire.

— Nous allons voir ce que l'année vous réserve, souffla-t-elle avec un brin de mysticisme.

Allongée sur son lit, les bras croisés derrière la tête, Johanne lui lança.

— Beaucoup de travail, puis beaucoup d'argent. J'ai pas besoin de tes cartes.

Nous nous mîmes à rire, et même Victoire esquissa un sourire. D'un geste naturel, celui d'une habituée, la jeune femme commença à battre les cartes. J'observai ses longs doigts parés de bagues, assise sur mon lit, Annabelle près de moi. Viktor s'était adossé au lit, par terre, et il regardait les cartes d'un œil curieux.

Louve [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant