La Tribune de la mort

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Début du souvenir

C'était la première fois qu'il assistait à une exécution.
Le condamné était de la famille. Un oncle éloigné qui aurait assassiné de sang froid sa femme et son fils durant la nuit, puis aurait tenté de s'ôter la vie, mais échoua. On l'attrapa, l'enferma et le condamna à mort.
Daisuke et Aiko Tanaka étaient avec leur mère. La grande famille s'était réuni à la cour du domaine Tanaka. Pas tous voulaient y assister, mais tous devaient y être présents. C'était dans la règle, et les règles de la famille devaient être respectées.

Un sifflement de flûte. Un roulement de tambour.
Deux chasseurs flanquaient le condamné aux bras ferrés sur la Tribune de la mort. Une sorte d'estrade blanche élevée, couverte de marbre qui jadis avait été blanc, aujourd'hui rosi par les litres de sang que la roche avait absorbé dans ses plus petites fissures. Quatres bourreaux l'attendaient sur l'estrade, cheveux rouges attachés, katana dégainés.

Ils n'oublièrent jamais le spectacle sinistre qui s'adonna à eux, ce jour là.
Daisuke n'avait que neuf ans, sa sœur Aiko, treize. Ils n'étaient que des enfants, et ils étaient déjà exposé aux horreurs de la vie.
Le petit Daisuke avait commencé à pleurer bien avant qu'on ne passe à l'exécution, angoissé par la musique funèbre et les sabres des exécuteurs. Si sa mère avait essayé de le réconforter, sa sœur le gronda. C'était indigne de pleurer pour un Tanaka.

Leur oncle a été agenouillé sur le sol blanc, penché en avant, son front touchait presque le sol. On coupa ses longs cheveux rouges. Il n'était plus un chasseur Tanaka.
Puis.. Sous l'ordre du Seigneur Tanaka, leur grand-père, les bourreaux enfoncèrent lame par lame dans son dos. Le condamné hurla, pleura, supplia ses proches d'avoir grâce, puis hurla de nouveau. Daisuke avait plaqué les mains sur ses oreilles, les larmes débordants de ses yeux élargi par la terreur. Même ainsi, il entendait ses cris, ses plaintes, la douleur dans sa voix redoubla ses larmes. Faîtes que ça cesse.
Je ne veux pas voir ça. Je ne veux pas entendre ça. Arrêtez.
Arrêtez.

Daisuke se réveilla en sursaut, avec l'impression de nager dans la sueur. Le col de son habit en soie était trempé. Encore ce cauchemar..
Il se mit sur son séant, et regarda par la porte ouverte de sa chambre, donnant sur le jardin vert du domaine. C'était un beau jour, exactement comme celui de l'exécution..
Il passa une main dans ses cheveux rouges, et soupira. Onze ans sont passé depuis que c'est arrivé, mais il n'arrivait pas à s'en défaire.
Daisuke appela une servante et lui demanda de lui préparer une tisane. Pour calmer ses nerfs. Jambes croisés sur le sol, il but la boisson chaude, ses yeux dorés se perdant dans la verdure que la nature leur offrait.
C'était un beau jour, en effet..

Il se souvenait que quelqu'un avait retiré les mains qui protégeaient ses oreilles. Les cris étaient revenus, violents. 

- Ne sois pas une mauviette, Daisuke, le méprisa sa soeur aînée, Aiko. Regarde et retiens la leçon.
C'est ce qui arrive quand on enfreint le code de la famille.

Les cris déchirants du condamné moururent dans le ciel du beau jour d'été, le quatrième et dernier katana était dans son corps en position de prière. Le sang luisant courait sur la surface immaculé de l'estrade, mais l'exécuté n'était pas mort, pas encore. Il allait être abandonné à la lente agonie, sous le soleil brûlant de midi.

- Tu sais pourquoi ils utilisent quatres sabres ? Demanda Aiko à Daisuke qui sanglotait derrière leur mère. C'est pour épingler l'âme du condamné par ses quatres États. Félicité, tristesse, colère et indifférence. C'est père qui me l'a dit. Si l'âme n'est pas bien immobilisé, le dieu du soleil, Taiyo n'en voudrait pas. Tu le savais, Daisuke ?

Daisuke pleura plus fort. Il ne voulait pas entendre Aiko dire ces choses cruelles. Il ne voulait pas savoir ce que le dieu Taiyo réclamait de ses offrandes. Il voulait partir de là. S'enfuir. Se cacher quelque part et laisser cours à ses larmes, à ses peurs étouffantes. L'air empestant la rouille le suffoquait, la vue du sang le tétanisait. Dans quel genre de famille était-il né ?

Daisuke se posait encore la question. Dans quel genre de famille était-il né ? Aujourd'hui , il avait des réponses. Il est né dans une famille de chasseurs, forts, beaux, fiers, prétentieux et cruels. Une famille qui brûle la langue aux menteurs, qui coupe les mains aux voleurs, qui punie les fornicateurs, qui enterre les bébés difformes, qui exécute les traîtres et offre leurs âmes au dieu du soleil.

Petit, Daisuke n'avait pas compris pourquoi son oncle avait tué sa petite famille. Aujourd'hui, il en savait plus. L'acte était horrible, mais son oncle avait pensé bien faire. Daisuke le comprit quand il apprit que son cousin était né sans bras, sa femme agonisait dans ses couches. Ils allaient mourir, le fils enterré vivant, sa femme de son corps déchiré et des pertes de sang. Alors il les a tué. Et il voulait se tuer, mais il n'a pas réussi. Il a été empalé par quatres sabres, puis abandonner à crever sous le soleil, dans la soif, la faim et la souffrance.

Daisuke trouva la tisane dégoûtante. Il reposa la tasse sur le sol. Repenser à tout ça le dégoûtait. Ne pouvait-il pas être un Petrov ou un Ohana ? Pourquoi un Tanaka ? Pourquoi lui ? C'était une erreur, Daisuke en était certain. Il ne s'est jamais senti comme un Tanaka. Un vrai Tanaka sera fier de lui, fier de sa famille. Lui ne l'était pas. Mais il ne pouvait rien y faire. Il avait juré sa fidélité, Daisuke tenait à ses paroles. Il avait aussi promis d'épouser sa cousine au prochain printemps, pour faire plaisir à sa mère qui voulait des petits enfants. C'est elle qui avait choisi sa future femme, parce que c'était la tradition. Les mères choisissent les époux de leurs filles et les épouses de leurs fils.

Daisuke s'entendit soupirer de nouveau. Il se sentait.. Piégé. C'était le mot. Piégé de son destin, enchainé à une vie qu'il n'avait pas choisi. Il repensa à cette étrange petite femme qu'il a croisé aux bains de l'auberge, une Lysters. Une génie hyperactive à la langue bien pendu. Ses mots l'avaient marqué, ou plutôt, remit en question. Pouvait-il un jour se détacher des traditions de sa famille ? Son cousin aveugle avait réussi, mais seulement parce que son père était le préféré du chef de la famille. Il les avait exilé, au lieu d'enterrer l'enfant. Daisuke n'était pas le préféré du Seigneur Tanaka, il n'aura jamais ce privilège..

Fin du souvenir

Souvenirs ( Basé sur un rôle play )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant